Certaines voix médiatiques se font entendre depuis quelques jours appelant au déconfinement, notamment par souci de préserver les libertés individuelles. Mais c’est une conception particulière de la liberté, celle où autrui est une limite plutôt qu’une extension de ma propre liberté, et surtout une liberté qui s’incarne dans la valorisation du capital et l’acquisition de marchandises. Une liberté du libéralisme, c’est-à-dire une liberté qui s’appuie sur l’exploitation et s’acoquine avec l’arbitraire.
Nous sommes dans des sociétés basées sur l’exclusion radicale, où certains et certaines peuvent être considérés comme superflus. A l’image des déchets qui s’accumulent avec la consommation, de plus en plus de personnes sont considérées comme des rebus. Le durcissement des peines de cette machine à broyer qu’est la Justice et les prisons sont aussi là pour accueillir les rebus de nos sociétés. La taule est d’abord un outil d’élimination sociale – qui est parfois purement et simplement une élimination physique, particulièrement dans ces temps épidémiques où le pouvoir choisit de laisser crever prisonniers et prisonnières dans leur cage.
L’immunité collective prônée dans un premier temps dans les pays anglo-saxons face à l’épidémie du coronavirus est motivée par une forme de darwinisme social propre au capitalisme : les jeunes, les bien-portants et les riches s’auto-immuniseront pour la plupart, tandis que les vieux, les inutiles et les bouches à nourrir crèveront. Certains chiens de garde du libéralisme sont ainsi montés au créneau après quelques semaines de confinement. C’est le cas d’Eric le Boucher, journaliste ayant frayé dans la commission d’Etat sur la libération de la croissance en 2008, macroniste convaincu, qui appelle dans les colonnes des Echos au déconfinement au nom des libertés individuelles, mais surtout pour « accélérer la reprise d’activité » en « acceptant les morts qui vont avec ». Qu’on ne s’y trompe pas, les politiques de confinement mises en place dans la précipitation sont d’abord là pour sauvegarder l’économie et la relancer au plus vite. C’est pourquoi certains et certaines peuvent se retrouver en télétravail, pendant que d’autres doivent s’exposer au virus en allant au turbin, y compris pour honorer les contrats d’armement. L’appareil productif doit être le moins désorganisé possible, même au prix d’une désorganisation partielle temporaire. L’armée de réserve doit être préservée, mais si le surnuméraire peut y passer, tant mieux. Le capitalisme fonctionne ainsi.
C’est comme si une fraction toujours plus importante de la population était excédentaire, en trop. Ce darwinisme social, basé sur l’idée que la vie repose sur la lutte concurrentielle pour l’existence et dont les formes les plus modernes se retrouvent aujourd’hui dans les théories génétiques et sociobiologiques, est un pilier du capitalisme. Si l’arbitraire du confinement et l’accélération du contrôle social sont à combattre , encore faut-il préciser les motivations clairement. Ce n’est certainement pour revenir à la “normale” comme le rêvent ces chiens de garde, c’est-à-dire une société où les morts quotidiennes moins médiatiques, les vies amputées et les boulots idiots étaient relativement acceptés par la majorité des gens. Cette normalité est à détruire pour faire place à une société plus désirable. Ce n’est pas la peine de sortir d’un confinement pour retourner se confiner dans la même société absurde, cynique et autoritaire dans laquelle s’est propagé le coronavirus.
[Publié sur Plague & Fire, 12/04/2020]