Recueil de textes anarchistes à propos du mouvement des gilets jaunes, 24 p., août 2019
Extrait :
…Un tel mouvement de révolte pour le moins inédit dans le contexte français a bien entendu provoqué au départ l’hostilité des idéologues de tout poil, aussi bien du côté des marxistes que des anarchistes. Pour les premiers, le fait que les gilets jaunes ne se posent pas socialement à partir du travail, c’est-à-dire de leur place dans les rapports de production, mais aient entamé une timide critique de leur l’existant à partir de la sphère de la reproduction (les conditions de survie qui ont été résumées par « les fins de mois difficiles ») ne pouvait qu’heurter leur vision économiciste. Si on rajoute à cela que selon leur grille de lecture de dinosaures ce mouvement a débuté avec une dimension « interclassiste » en appelant tout le monde à le rejoindre (petits patrons, autoentrepreneurs, artisans et commerçants inclus, au nom de la lutte « des petits contre les gros »), il va de soi que beaucoup d’entre eux sont longtemps restés imperméables à ce qui se passait. Du côté anarchistes, si on met à part les compagnons pour lesquels la question révolutionnaire ou insurrectionnelle est de peu d’importance, c’est notamment la revendication initiale sur les carburants et la présence de l’extrême-droite dans les manifestations qui a servi de repoussoir. Le symbole de sa présence, ou plus généralement de minorités nationalistes et réactionnaires, étant bien entendu pour eux ces drapeaux français brandis au vent et ces Marseillaise entonnées plus que de coutume. Même si on peut autant attribuer la présence des drapeaux tricolores et du chant patriotique à ces groupes organisés qu’à la victoire de l’équipe de football au Mondial quelques mois plus tôt, à son emploi abondant par le principal parti de gauche (France Insoumise) depuis des années, ou encore par un rapport fantasmé des gilets jaunes à la Révolution de 1789, il n’en reste pas moins évident que l’extrême-droite était bien là, tentant dès le début de pousser ce mouvement à son avantage. C’était évidemment une question à ne pas mettre de côté, mais de la même façon que nous devons à mon avis prendre en compte la présence de tous les groupes autoritaires organisés dans chaque lutte, y compris lorsqu’elle s’incarne avec des maoïstes brandissant des drapeaux rouges avec marteau et faucille au sein des blacks blocs ou avec des néo-blanquistes au cours de luttes de territoire. Pour les anarchistes, la question n’est en effet pas celle de la droite ou de la gauche de la politique, mais plutôt celle de la liberté et de l’autorité, luttant pour renforcer la première et pour supprimer la seconde. Comme c’est aussi de façon plus générale la question de l’autonomie et de l’auto-organisation contre toute velléité d’encadrement et de pacification.
Face à des situations de révolte sociale qui réunissent une masse hétérogène animée par un «non» commun comme point de départ (à une nuisance comme à une taxe), il nous semble ainsi que la question de l’intervention anarchiste en son sein dans une optique insurrectionnelle ne peut pas se limiter à la présence ou à l’absence de ces groupes autoritaires. Qu’y-a-t-il en effet d’incongru dans un monde basé sur l’autorité que des groupes autoritaires soient présents au sein d’une lutte ouverte ? Si on pense par exemple qu’un mouvement porte intrinsèquement en lui comme la nuée l’orage la naissance d’un néo-fascisme populaire de type Salvini, il est alors clair que notre intervention devra se faire contre le mouvement en soi. Si on pense à l’inverse que le mouvement de révolte pose une question sociale qui peut ouvrir sur bien d’autres possibilités, il est alors clair que notre intervention devra se faire contre la présence des autoritaires dans le mouvement. Mais dans les deux cas, il nous semble impossible de rester passif, de ne pas agir, d’une manière ou d’une autre, en fonction de ses propres idées et perspectives. Il est d’ailleurs étonnant à plus d’un titre qu’un compagnon enfermé à l’isolement au fond d’une geôle italienne ait réussi à être plus lucide que certains compagnons d’ici. Dans un texte de décembre se référant en passant aux gilets jaunes, il proposait ainsi aux anarchistes non seulement d’être aux côtés des révoltés pour se battre contre la police dans les émeutes, mais aussi d’apporter des contributions spécifiques comme des attaques ciblées contre les politiciens et les récupérateurs de la révolte (ceci incluant bien entendu les groupes fascistes). Un raisonnement somme toute classique, puisque de fait, comme souvent face à ce genre de situations explosives, là question ne devrait pas tant être « qui sont-ils et que veulent-ils », mais qu’est-ce que nous voulons, nous ?
Sommaire
1. L’Entretien avec des anarchistes sur le mouvement des Gilets Jaunes par Des individus sur Paris et banlieue date de février 2019.
2. Gilet-jaune : es-tu citoyen ? date de mars 2019. Il a été distribué dans les rues de Paris lors de l’acte XX du mouvement (samedi 30 mars).
3. Les Quelques notes à propos du mouvement des Gilets jaunes par Paname datent de début juin 2019. Elles ont été publiées dans le journal anarchiste allemand In der Tat n°4, été 2019
4. Pou(r)voir au peuple date de juin 2019. C’est un texte sorti à Marseille.
[Publiée sur indymedia nantes, 12.10.2019]