[Quelques troubles-fêtes se sont invités à la marche très bobo pour le climat de Caen ce samedi, où entre 800 et 1000 personnes étaient présentes. Parmi d’autres initiatives, ce texte ci-joint a été diffé, reprenant largement des extraits d’un bouquin à paraître intitulé Nature et anarchie, édité et diffusé par le local Apache.]
Un autre monde de merde est possible…
L’été dernier a été chaud. Encore plus que les précédents. L’expérience ordinaire rappelle tous les jours la dégradation générale des possibilités de vie sur terre, depuis la température estivale d’une journée d’automne aux vagues d’indésirables qui tentent tant bien que mal de franchir des frontières toujours plus militarisées. Ce ne sont que des prémices. Dans quelques dizaines d’années, le sol, l’eau et l’air seront encore plus empoisonnés, une partie des terres immergées, et les ours polaires et autres rhinocéros ne seront que des souvenirs. Et sans ruptures avec l’ordre existant, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’est qu’un village inoffensif d’agriculteurs et d’agricultrices de gauche et les mines d’or pulluleront en Guyane, comme celle en projet de 800 hectares à 125km de Saint-Laurent-du-Maroni. Qu’on se rassure, quelques hectares mis sous cloche permettront à quelques touristes fortunés de venir se ressourcer dans des forêts gardées, étatisées, judiciarisées, séparées des liens possibles avec une vie humaine authentique. Et il y aura toujours quelques écolos pragmatiques pour aller occuper quelques strapontins au pouvoir ou protéger les banques.
Nos écolos d’aujourd’hui, Alternatiba et ANV-Cop 21 (une filiale) en tête, nous les avons vus au G7 cet été. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont de la même veine que tous ces écolos refusant avant tout la conflictualité ouverte avec le pouvoir en place. La planète se meurt, mais il faudrait rester calme et discipliné, et même protéger les banques. C’est ce qu’ils et elles ont fait en organisant un service d’ordre agglutiné devant les façades des banques afin d’éviter toute casse lors de la manif contre le G7 au Pays Basque. Tout un symbole : l’écologie comme auxiliaire de police. La Préfecture ne s’y est pas trompée, les félicitant pour leur contribution au maintien de l’ordre. Pourtant, d’un point de vue purement écolo, il est plus efficace de détruire une banque contribuant au désastre généralisé que de trier méticuleusement ses déchets…
La cogestion du désastre, nombre d’écolos y goûtent depuis longtemps, Europe Ecologie les Verts en tête. C’est le cas en 2009 où ce parti vote au Parlement européen une motion sur le réchauffement climatique où il est écrit : « une économie à faible intensité de carbone conférera à l’énergie nucléaire un rôle important dans le bouquet énergétique à moyen terme ». Un vote pronucléaire, cette industrie de mort, parmi tant d’autres. Faut-il rappeler que c’est Dominique Voynet, alors ministre de l’écologie et membre des Verts, qui a signé l’autorisation du laboratoire préparant le centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure ? Ou encore que l’ennemi de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et ex-ministre de la Transition écologique de Macron fan de homard, François De Rugy, est un ancien ponte du plus fameux parti écolo ?
La nouvelle génération sera autant carriériste, au besoin en se lamentant sur les méchants ‘’lobbys’’ comme l’a fait notre cher hélicologiste millionnaire Nicolas Hulot pour entretenir l’illusion. Il est vrai que les seuils sont fixés par des technocrates qui circulent entre postes de direction des industries stratégiques, bureaux ministériels et places de hauts-fonctionnaires. Sauf que parler de lobby, ça évite de parler du capitalisme et du rôle de l’Etat…
Certains et certaines écolos voudraient que s’étendent le contrôle et les normes, comme ces activistes de Greenpeace qui investissent les centrales nucléaires en exigeant plus de surveillance. Comme si les flics, les caméras et les barbelés n’étaient pas une partie du problème. Les antinucléaires plus lucides continuent de crier : « société nucléaire, société policière ». La police des comportements, justement, se développe aussi sous pavillon écolo. Quelques exemples parmi tant d’autres : s’éclairer aux lampes basse-consommation, trier ses déchets avec engouement, acheter une voiture électrique, numériser tous ses échanges et ses activités, produire de l’énergie solaire pour EDF sur son toit, et surtout ne rien changer au monde qui court au désastre. Les écolocrates, ces écolos qui ont réussi et investi les strapontins du pouvoir, nous culpabilisent de vivre dans un monde que nous n’avons pas choisi. Ils et elles masquent au même moment que les ravages sont d’abord le fruit de l’industrie et des transports de marchandises, tandis que nos comportements sont pris dans un système de contraintes qui débute avec le réveil qui sonne pour aller bosser ou partir à l’école. Qui prend les transports en commun ou fréquente les routes aux heures de pointe pour le plaisir ou par choix ?
La bonne conscience écologiste se conjugue très bien avec l’argent, l’exploitation, les nouvelles technologies, la hiérarchie et l’Etat. D’ailleurs, les écolocrates sont en bonne place pour promouvoir la multiplication des gadgets technologiques qui fliquent nos faits et gestes, comme à Lille ou à Grenoble par exemple. Ils y sont à la pointe de la valorisation des métropoles vitrines, où chaque bout de pelouse n’est plus considéré en toute poésie que comme une ressource pour la biodiversité. Au passage, les aéroports, les TGV et les voitures électriques sont valorisées, oubliant qu’au bout des fils électriques qui les ‘’nourrissent’’, on trouve d’abord des centrales nucléaires. Comme en Grèce avec Syriza ou en Espagne avec Podemos, la gauche écolo et/ou radicale reste la gauche, dont le rôle historique a toujours été d’éviter les explosions sociales et d’empêcher les volontés de rupture avec l’ordre existant. A l’idée de changer le monde, s’est substituée l’idée de sauver un monde : celui de la consommation, des écrans plats, des boulots absurdes, des conforts factices, des besoins créés, des objets inutiles etc. Au passage, les organisations écolo dévoilent toujours plus clairement ce qu’elles sont : des promotrices d’une idéologie de classe capable de rénover un ordre social au profit de quelques-uns et unes. Ce n’est pas pour rien que les meilleurs scores électoraux d’Europe-Ecologie les Verts se font dans la ville des cadres et des ingénieurs de Grenoble ou dans la ville bourgeoise de Paris.
Les citoyens et citoyennes écolo ne sont pas en reste, appelant à faire du vélo, à consommer bio, à trier ses déchets… Rien d’essentiel n’est alors remis en cause, que ce soit la production industrielle et ses gaspillages et mutilations de la vie et de la nature qui l’accompagnent, ou la réduction de tout, tous et toutes en marchandise vouée à circuler d’un bout à l’autre de la planète. Ne parlons pas de l’absence d’une critique radicale du travail… Cette écologie des petits gestes met par la même occasion sur un pied d’égale responsabilité les industriels qui dictent la production et celles et ceux qui travaillent, les décisionnaires de la construction d’une centrale et celles et ceux qui habitent à côté, les ingénieurs qui la façonnent et celles et ceux qui la combattent. Cette écologie est chère par exemple aux fidèles de Pierre Rabhi réunis dans le mouvement des colibris. Ces volatiles essaient d’éteindre l’incendie en prônant que chacun et chacune fasse sa part, oubliant la fin de cette légende amérindienne qui se termine par la mort d’épuisement de l’avenant petit oiseau, sans qu’il n’ait jamais attaqué les causes de l’incendie ni même rendu quelques coups aux pompiers incendiaires.
Nous préférons de notre côté essayer de contribuer aux attaques contre ce monde. La dissémination partout des infrastructures énergétiques, du maillage technologique, des nœuds de transport les rend vulnérables : câbles numériques, data center, antennes-relais, caméras de vidéosurveillance, rails, armoires électriques de zones industrielles etc. Il y a mille manières d’attaquer, comme le sabotage ou les blocages. Si les postes TV restent éteints, que les smartphones sont réduits au silence, que les flux de données bancaires s’estompent, que la frénésie des machines des industries stratégiques est interrompue, que les pompes à essence restent vides suffisamment longtemps pour créer de fait une grève générale, quelles possibilités peuvent alors s’ouvrir. Des tas de gens se retrouveraient ainsi face au vide du pouvoir ouvert par la conflictualité, préalable à toute révolution sociale. Aux pieds du mur, il y a de fortes chances que beaucoup n’ayant plus grand-chose à faire décident plutôt d’agir et que l’angoisse de cette absence cède à l’enthousiasme de créer.
Les ours polaires ne sont pas écolo, ils et elles n’en ont pas le privilège. Ils et elles sont révolutionnaires !
[Reçu par mail]