Pendant que les braves travailleurs et les honnêtes citoyens dorment, d’autres s’affairent à des tâches plus passionnantes que reposer sa force de travail pour la remettre jour après jour au service d’un patron.
Faisons par exemple un tour du côté de Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime), près du Havre. C’est là que vers 4h30 du matin, rue des Marais, un joujou des Douanes a été incendié sur leur propre parking. Cette merveille de technologie permet aux douaniers de « radiographier » en quelques minutes la totalité d’un poids-lourd. Tracteur, chassis, roues, remorque, conteneurs : tout y passe et chaque élément apparaît sur un écran de contrôle. Cela s’appelle un camion-scanner aux rayons X (voir photo), notamment utilisé pour des contrôles inopinés au bord des grands axes fréquentés par les poids-lourds, qui peut en scanner plus de dix en une heure. Ces camions-scanners permettent de détecter les migrants cachés ou encore les chargements illicites (« on se concentre essentiellement sur les cigarettes, les stupéfiants, les armes… », disait un directeur des Douanes il y a quelques mois), et il n’en existe que quatre en France, au coût unitaire de 2 millions d’euros. Deux camions scanners sont postés en permanence dans les ports de Marseille et du Havre, tandis que les deux autres sillonnent constamment l’Hexagone.
Quatre moins un, faudrait-il dire depuis le 7 janvier, après cette attaque incendiaire au Havre qui s’est produite juste sous le nez des Douaniers pendant qu’ils songeaient à d’autres belles prises. Il suffit parfois de peu, par exemple de quelques allumettes, pour que les rêves de flics virent au cauchemar…
Faisons aussi un tour du côté d’Istres, dans les Bouches-du-Rhône. On savait déjà que les tempêtes pouvaient inspirer de joyeux révoltés. Avec celle qui s’est abattue lors des forts orages de décembre sur Istres, l’éclairage public est tombé en rade, avant d’être vite remis en selle par les autorités. Depuis lors, parce que la ville-prison est certainement plus agréable ou riche en potentialités inédites une fois plongée dans le noir, les transformateurs électriques de plusieurs quartiers du sud de la cité sont régulièrement sabotés. A tel point que le maire en est venu à s’en plaindre officiellement dans un communiqué : « Les services techniques municipaux et les sociétés qui travaillent pour la commune s’emploient régulièrement à remplacer le matériel endommagé et les armoires électriques incendiées, sans pour autant parvenir à enrayer le problème malgré les interventions répétées de la Police Nationale ; et aussitôt réparé, le dispositif d’éclairage public est de nouveau détruit ».
Fort démuni par ces adeptes de l’obscurité, il vient même d’appeler au secours le Préfet, afin de tenter d’endiguer cette étrange passion pour l’observation des étoiles. Une passion qui ne saurait être troublée ni par de fades néons, ni par les yeux intrusifs d’un Etat qui entend nous mater, y compris à des heures indues.
Talmont-Saint-Hilaire est une petite commune de Vendée ordinairement sans histoire. C’est peut-être pour cela que la députée LREM Patricia Gallerneau y a élu domicile, trouvant le sommeil dominical du juste après son labeur législatif hebdomadaire au service de la domination. Quelle ne fut donc pas sa surprise ce dimanche 6 janvier, en trouvant au réveil un mur juste devant chez elle, fait d’une cinquantaine de parpaings soutenus par quelques planches de bois, et obstruant la porte de son garage ! Élevé
avec soin entre 3 h du matin et le lever du jour, ce mur improvisé nous rappelle opportunément que comme d’autres puissants, les élus aussi ont des noms et des adresses. Pour qu’on puisse leur exprimer ce qu’on pense de l’écrasement quotidien qu’ils nous infligent, et que leurs petits dimanches tranquilles virent définitivement à l’amer.
A Grand Santi, sur le Haut Maroni en Guyane, s’est produite une « véritable révolution » en mars 2018. Mais que peut donc bien signifier une « véritable révolution » dans un trou perdu de cette colonie, selon l’expression des journaflics qui relaient à la fois la voix du progrès et de la Frrrance ? La base militaire aérospatiale de Kourou rasée au sol par une révolte ? L’attaque des intérêts de la future mine de la Montagne d’Or jusqu’à les dégager de Guyane ? Nooon, bien sûr. Ou pas encore. Dans cet horrible monde de la marchandise technologisée, une « véritable révolution » c’est l’installation… d’un distributeur de billets à la Poste du coin !
Comme chacun sait, la Guyane est non seulement peuplée de colons laborieux, mais aussi d’Indiens Guaranis, de descendants d’esclaves marrons (comme les Bonis) ou de galériens qui rament loin de la métropole. Dans ce beau monde qui ne craint pas la chaleur de la nuit se trouvent apparemment de véritables contre-révolutionnaires : ceux qui ont complètement détruit ce pauvre DAB la nuit du 6 au 7 janvier en l’arrachant du mur où il s’était niché. En Guyane comme ailleurs, les uns demandent poliment des billets à une machine, quand les audacieux et les curieux vont directement fouiller dans ses entrailles pour en trouver…
Mais soyons corrects, il y a aussi des gens honnêtes, la nuit, à l’image de ces braves travailleurs qui se tuent à la tâche pour remplir leur frigo et exploser le forfait de leur téléphone portable. Enchaînés aux 3×8 dans des usines, épuisés dans des hôpitaux ou au milieu du bruit dans certaines professions particulières, comme ceux qui emploient leurs bras rue Théophraste-Renaudot à Houdemont (Meurthe-et-Moselle). C’est là que vendredi 4 janvier vers 21h, ces derniers ont d’ailleurs eu un coup de chaud sur le lieu même de leur exploitation, celui où ils s’évertuent à satisfaire à la fois leur patron et une préfecture de police qui chouchoute leur outil de travail qui la sert si bien. Dans cette banlieue du sud de Nancy, des inconnus ont ainsi déployé en quelques minutes quatre barricades de bois, de débris de chantier et de pneus, qu’ils ont aspergées d’huile avant de les enflammer, afin d’empêcher les travailleurs et les véhicules de livraison d’accéder au site.
Mais quel peut bien être ce site à ce point voué aux gémonies qu’une cinquantaine de personnes se soient auto-organisées à la nuit tombée pour empêcher son fonctionnement ordinaire en entourant ses accès de barricades en feu ? Eh bien, il s’agit de rien moins que du bâtiment du groupe Ebra, abritant le centre d’impression de tous les quotidiens régionaux de Lorraine et de Franche-Comté : L’Est Républicain, le Républicain Lorrain et Vosges Matin. Les gilets jaunes qui ont mené cette opération ont rapidement été délogés par la police, quatre d’entre eux ont été arrêtés (dont trois sur la base de « gants sentant l’essence ») puis renvoyés en procès le 13 mai.
Mais qu’on se rassure : malgré une nuit plus chaleureuse que d’ordinaire à Houdemont, la propagande du pouvoir a finalement pu être distribuée dans tous les foyers. Le directeur général des trois quotidiens régionaux a fustigé le lendemain dans son éditorial les « feux de l’inconscience » – parce qu’un « feu conscient » serait celui qui lécherait directement le bâtiment ?, allez savoir-, tandis que le maire de Nancy a déclamé dans un même souffle son « soutien à la presse et aux forces de l’ordre ». Tout est dit. D’ailleurs ne dit-on pas journaflics ?
[Reçu par mail]