Quai de Valmy-Un juste retour de flamme
Pour Toulouse, c’est entendu : l’église des Jacobins est ce joyau de l’art médiéval d’oblongue allure, à ranger à côté du cassoulet-saucisse et du footing dominical le long du canal du midi, et qui servira de faire-valoir lors des journées du patrimoine. Derrière tout ce patrimoine on en oublierait presque l’Histoire.
Les jacobins sont, avant tout, un clinquant monument érigé à la gloire de l’Inquisition médiévale. Sa belle voûte n’est que l’envers du filet policier, cet appareil bureaucratique visant à débusquer, identifier, ficher et annihiler les déviants et les réfractaires à l’Église. A l’ombre de ses colonnes, Saint Dominique dressa pour Rome les chiens du Seigneur. D’ici, la meute carnivore courut chasser l’hérétique aux quatre points cardinaux.
Si les murs pouvaient parler ils en diraient long sur les procès d’intentions, de mœurs et de conduite qui s’y sont tenus, sur les sorcières dont on a décidé la crémation, sur les cadavres déterrés, sur ces enfants forcés à dénoncer leur père, sur ces avortées que l’on tirait du lit pour les porter au bûcher… A chaque époque ses rebelles ; les vaudois d’hier sont peut-être les ingouvernables d’aujourd’hui.
1234 – 2016. Loi Travail. Une voiture de flics flambe au Quai de Valmy, sur le trajet d’un cortège de manifestants. Quand la société entière devient une brebis galeuse, les hordes policières ont une tache au-dessus de leur moyens pour l’isoler et la contenir. Il ne reste plus que cette démesure de l’enquête, des arrestations et des traques, d’un procès enfin qui toute cette semaine tentera de débusquer l’hérésie de notre époque. L’hérésie, au sens premier – les inquisiteurs le savaient bien eux-mêmes – est le nom de cette capacité pour chacun de choisir ce qui lui semble convenable. Le geste du quai de Valmy fut un de ces moments d’autodétermination faisant rupture avec la logique politique et policière que les dominicains médiévaux comme la caste policière actuelle n’ont de cesse d’imposer.
Si l’hérétique était, dans le jargon des inquisiteurs, ce renardeau à débusquer, il faudrait leur rappeler que face aux Bernard Gui, il y aura toujours des Bernard Délicieux ; que les chiens bipèdes et les robot-flics ne sont pas à l’abri de la violence qu’ils génèrent ; que face aux bûchers policiers il y aura toujours de justes retours de flamme ; face aux inquisiteurs de tout poil, il y aura toujours des renardeaux.
Des renardeaux.
[Publié sur indymedia nantes, mardi 19 septembre 2017]