Traduction (tardive) d’une lettre d’un prisonnier du G20 actuellement détenu à Billwerder, à Hambourg en Allemagne.
Cher(e)s compagnon(ne)s,
Aujourd’hui j’ai clôturé la dernière barre (IIII) [1]. Vingt journées se sont déjà écoulées depuis que j’ai été lâchement et brutalement pris par les épaules et jeté à terre par l’une des unités spéciales de la police allemande à Hambourg. Une fois arrêté, ils se sont immédiatement dressés contre les nombreuses personnes de la rue, solidaires, qui s’approchaient. Ils ont aussi fait en sorte d’empêcher la communication avec ceux qui regardaient la scène depuis leurs balcons, tandis qu’ils commençaient à me fouiller en jetant toutes mes affaires par terre, dégoûtés de n’avoir rien trouvé à part un classique k-way Quechua, qui par ailleurs était attaché à l’extérieur de mon sac à dos. Énervé, un énergumène de deux mètres en est allé jusqu’à récupérer une bouteille et un casque pour essayer de m’extorquer des aveux devant leur caméra.
C’est à partir de ce moment là qu’a commencé la valse des camionnettes, la première fouille corporelle dans un commissariat, puis le GeSa, une prison spéciale construite exprès pour le G20 et qui a coûté 5 millions. Il s’agissait d’un vieil entrepôt avec à l’intérieur des containers éclairés uniquement par la lumière artificielle des néons et à l’intérieur de ceux-ci, d’innombrables cellules préfabriquées. Une fois dedans, j’ai d’abord été dénudé totalement, ils ont même contrôlé la couture de mon slip et ils m’ont enlevé ma montre et mon pull, au nom de ma sécurité ; puis on est passé au tour du test d’alcoolémie ; à la fin ils m’ont photographié et deux policiers m’ont conduit en cellule, en me tenant à gauche et à droite et en me pliant les bras derrière le dos (modalité d’accompagnement qu’ils ont, par la suite, utilisé pour chacun de mes déplacements). Avant de m’enfermer dans la cellule, ils m’ont aussi enlevé les chaussures et les lunettes de vue, toujours au nom de ma sécurité. La cellule était sombre, insonorisée, meublée d’un banc en bois extrêmement étroit et un bouton pour les besoins.
On ne m’a pas laissé appeler un avocat avant environ quatre heure et demi du matin et je n’ai pu le voir que de nombreuses heures après mon appel. A cet endroit, différents abus et pressions psychologiques ont été exercées. Certains d’entre nous ont étés convoqués en audience par le juge sans même qu’on leur concède la présence d’un avocat. Laquelle présence s’est révélée, malgré eux, inutile même aux juges, dans la mesure où leur unique intérêt était de savoir si on avouait ou non notre délit
Après de nombreuses heures au GeSa, ils ont commencé les transferts vers la prison. Premier arrêt : Billwerder. J’y suis resté deux/trois heures avant d’être remballé et transporté vers une autre prison, une prison pour mineurs fermée et ré-ouverte seulement pour une dizaine d’entre nous. Cellules individuelles, une heure de promenade et de « socialisation »[2] par jour, les vingt-trois heures restantes enfermés dedans (pour nous concéder davantage, le « chef » devait d’abord s’assurer qu’on le méritait). Ils nous ont finalement permis d’appeler l’avocat au bout de quatre jours et après de continuelles demandes.
Ayant commencé à libérer des compagnons allemands, au bout de six jour ils nous ont tous ramenés à Billwerder, c’est là que j’ai retrouvé Orazio (j’avais eu connaissance de son arrestation un ou deux jours avant) et connus les autres compagnons italiens ou pas. Ici aussi, après la première nuit dans une aile du bâtiment, ils nous ont transférés le lendemain dans une autre, où l’on se trouve maintenant depuis une dizaine de jours. Durant ce laps de temps, chacun à notre tour, nous avons assisté à la comédie mise en scène pour les demandes de mise en liberté. De jeunes juges, hommes et femmes, avec l’ambition de faire carrière sur notre dos étaient chargés de nous juger. Ils nous ont confirmé les uns après les autres (les internationaux) notre maintien en détention. La tête baissée, pour ne pas croiser nos regards, ils lisaient les verdicts déjà écrits en parfait accord avec le procureur. Dans mon cas en particulier, on n’a même pas pris la peine de me lire les motifs pour lesquels on me refusait le recours, dans la mesure où mon cas était identique au précédent. Et dire qu’en temps »normal », au délit pour lequel nous sommes poursuivi le plus fréquemment, à savoir le jet d’une ou de plusieurs bouteilles, correspond une sanction financière. Mais, certains que nous aurions relevé le défi d’un sommet organisé de façon provocatrice à Hambourg (après que la ville ait refusé par référendum l’accueil des Jeux Olympiques), à proximité de quartiers toujours plus résistants et irrépressibles (St Pauli, Altona et Sternschanze), les autorités allemandes ont pris soin d’alourdir les peines.
La gestion catastrophique « de l’ordre public » menée par Dudde (chef de la police de Hambourg) et ses sbires dans les jours qui ont précédé le sommet, annonçait déjà la couleur sur ce qui serait arrivé pendant. C’est-à-dire lorsque des activistes qui passaient la nuit dans une dizaine de tentes installées dans un camp, qui d’ailleurs était autorisé, ont étés attaqués et matraqués. En tout état de cause, cette attaque injustifiée n’a pas eu l’effet escompté, elle n’a fait peur à personne. Et nous voici arrivés à la journée du 6 juillet, pour laquelle la presse allemande avait annoncé depuis des jours, des mois, l’arrivée du plus gros « black block de l’histoire », à Hambourg la révolte a explosé. Nous étions nombreux à être présents lorsque cet homme de main qu’est Dudde, après nous avoir nerveusement hurlé dessus ces ordres au mégaphone, a attaqué à coups de matraque, de canon à eau et de gaz lacrymogène une manifestation qui n’était pas encore partie. Peut être pensaient-ils, s’imaginaient-ils vraiment que les quinze mille hommes déployés auraient pu réussir à maintenir l’ordre dans les rues de Hambourg.
Ce qui est arrivé en réalité, vous l’avez tous vu. La violence dont a fait preuve la polizei allemande, qui ne faisait que de dégoupiller les grenades à fragmentation prêtes à exploser à tout moment.
Et à l’instar des éclats qui giclaient de partout, ce sont autant de foyers de révolte qui se sont embrasés eux aussi un peu partout. Les continuels envahissements de la zone rouge ont réduit les zones protégées et ça a touché les hôtels qui auraient dû accueillir les puissants, contraints de déplacer en hélicoptère et en métropolitain leurs délégations tandis que l’enfer régnait dans le reste de la ville de Hambourg. À chaque tentative de calmer la situation, la colère collective se retournait contre eux.
Inutile de préciser qu’après la défaite retentissante subie, la polizei a répondu en employant les moyens de répression les plus infâmes : des arrestations en masse, un nombre considérable de check-points dans toutes les villes allemandes et des détentions injustifiées. Aujourd’hui, les données parlent d’environ 35 compagnons en prison et d’une cinquantaine de plaintes pour abus de pouvoir par les hommes de Dudde.
Avoir participé au G20 de Hambourg est une expérience dont nous porteront la marque pendant longtemps. Pas tellement par rapport à la détention, qui n’a en aucune façon ébranlé nos idéaux, mais plutôt pour la joie d’avoir ruiné la fête des puissants de ce monde, qui derrière les remparts du « développement » et de la démocratie continuent à tuer et à emprisonner tout ceux qui s’opposent à leurs politiques, continuent à décider du sort de la vie de nos frères et de nos sœurs migrants. Convaincus d’avoir raison et avec votre soutien, nous tiendrons bon et ce jusqu’à la fin. Beaucoup de détenus, ces derniers jours, nous demandaient si nous étions là par rapport au G20 et nous répondaient en nous souriant, en nous serrant le main. D’ailleurs qu’est ce qu’un voleur par nécessité sinon une victime de l’évolution des cycles du capital ? Et à quoi servent les prisons si ce n’est à défendre les riches ?
Complices et solidaires avec les autres camarades détenus dans les prisons du monde entier, proches de ceux qui sacrifient leur vie tous les jours, motivés par les mêmes idéaux.
En espérant vous embrasser très vite, le point fermé.
Ale.
Le 22/07/2017, prison de Billwerder, Hambourg.
Ps: aux dirigeants de l’UE, je voudrais leur demander à quoi sert la suprématie du droit européen sur ceux des états qui composent l’union et quelle est l’utilité d’être un citoyen européen si ensuite on observe des inégalités de traitement, s’ils font des problèmes à tes amis qui viennent te visiter en prison parce qu’ils présentent comme pièce d’identité, « seulement » leur carte d’identité et le permis de conduire et qu’on leur demande le passeport.
Nous, on a déjà trouvé la réponse et depuis déjà pas mal de temps [3].
[1] Il parle du dessin qu’il fait pour tenir le décompte des jours.
[2] Ndlt : En italien socialità : le moment dans la journée où les cellules sont ouvertes et les détenus peuvent se déplacer dans le couloir de leur étage.
[3] Ndlt :Il fait probablement référence au slogan : « La carta è solo carta, la carta brucerà » : le papier est seulement du papier, le papier brûlera.
[Publié sur indymedia nantes, 4 septembre 2017]