En Equateur, la révolte populaire contre l’austérité secoue le pouvoir
Les réformes économiques annoncées la semaine dernière ont entraîné des manifestations d’une ampleur telle que le gouvernement a dû quitter Quito.
Etat d’urgence décrété depuis jeudi (3 octobre 2019), transfert du gouvernement lundi soir (7 octobre 2019) de Quito, la capitale, à Guayaquil, la deuxième ville du pays, manifestations tendues : la situation a pris un tour chaotique en Equateur, où la rue a déjà fait tomber trois présidents dans les années 1990-2000. Et même si la situation de ce petit pays de 15 millions d’habitants est aujourd’hui bien différente, nul ne sait comment cela peut évoluer.
Le président Lenín Moreno, élu en 2017 avec le parti Alianza País (AP, centre gauche), a dénoncé lundi soir lors d’une allocution télévisée «l’activation d’un plan de déstabilisation» qui serait, selon lui, fomenté par le «satrape Nicolas Maduro» avec l’ancien président équatorien Rafael Correa (2007-2017) dont il fut le vice-président et le dauphin, mais qui est devenu en moins de deux ans son frère ennemi. Moreno est apparu à la télévision accompagné du ministre équatorien de la Défense.
Tout a commencé la semaine dernière avec l’annonce par le gouvernement de plusieurs mesures d’ajustement économique permettant d’obtenir un crédit du Fonds monétaire international (FMI) et consistant notamment à supprimer les subventions sur les carburants et à réduire les congés payés des fonctionnaires (qui passent de 30 à 15 jours).
Blocages
La hausse de 123 % du prix de l’essence (qui était jusque-là une des moins chères du continent après le Venezuela) a mis le feu aux poudres. Le secteur des transports s’est mis en grève, bloquant quasiment ce pays de 283 000 km2 où la circulation routière est reine. Invoquant les violences sporadiques qui ont éclaté en marge de certaines manifestations, le gouvernement a décrété jeudi dernier «l’état d’exception», le jour même où les nouvelles mesures entraient en vigueur. Malgré la levée officielle de la grève des transports samedi, la situation est restée explosive tout le week-end. Selon les autorités, le bilan était lundi soir d’un mort, 73 blessés et 477 arrestations tandis que 19 des 24 provinces équatoriennes étaient encore bloquées. Le ministère de l’Energie a aussi dénoncé la suspension des opérations dans trois exploitations pétrolières en Amazonie à la suite de l’occupation des installations.
Après le secteur des transports, le mouvement indien a pris le relais des mobilisations : il proteste non seulement contre l’augmentation du prix des carburants, mais brandit également des revendications plus anciennes : la gestion de l’exploitation minière et pétrolière du pays, le développement de l’éducation bilingue ou encore la gestion des ressources en eau. La Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (Conaie) a, dès dimanche, déclaré elle aussi «l’état d’exception dans tous les territoires indigènes», menaçant de capturer les militaires et les policiers qui s’y trouveraient. L’organisation indigène a aussi appelé ses troupes à marcher sur Quito pour se joindre à la grande manifestation et à la grève générale convoquée par la plupart des syndicats ce mercredi.
Le président de la Conaie, Jaime Vargas, a ainsi décrété «une mobilisation nationale indéfinie». Des milliers d’Indiens sont arrivés dans la capitale lundi en fin d’après-midi alors que l’armée faisait évacuer le palais présidentiel de Carondelet. Le gouvernement a alors annoncé son transfert à Guayaquil, capitale économique du pays située à 420 km plus au sud sur la côte Pacifique et bien loin des mobilisations indiennes.
Caisses vides
Le gouvernement de Moreno doit enfin faire face aux mécontentements des partisans de Rafael Correa qui entendent prendre leur revanche face à celui qu’ils considèrent comme un «traître». Peu après son élection, Moreno avait commencé à prendre ses distances avec l’ex-président en déclarant qu’après des années de grands travaux et de modernisation, les caisses étaient quasiment vides. Il n’a pas non plus défendu Jorge Glas, son vice-président et chouchou de Rafael Correa, condamné fin 2017 à six ans de prison pour corruption.
L’état d’exception a été confirmé par la Cour constitutionnelle lundi pour une durée de trente jours. Ce qui permet de mobiliser l’armée et la police pour assurer l’ordre public, d’établir des zones de sécurité, de suspendre ou de limiter certains droits, ou encore d’imposer une censure aux médias. Après des années de manne pétrolière et depuis la chute des cours de l’or noir en 2014, l’Equateur, dont le pétrole représente 40 % des recettes publiques, est confronté à un véritable ralentissement économique, avec une croissance proche de zéro et une dette publique qui ne cesse d’augmenter.
[Repris de Libération, le 08.10.2019]
Sur le climat insurrectionnel à travers le pays – 7, 8 et 9 octobre 2019
Des dizaines de milliers de manifestants ont déferlé dans les rues de Quito, ce mercredi 9 octobre, jour de grève nationale, pour protester contre les mesures économiques annoncées la semaine dernière.
Après avoir commencé à marcher ensemble, très vite les indigènes se sont séparés de la manifestation des syndicats, afin d’éviter toute récupération et tout contrôle. Au début de la marche, des participants n’hésitaient pas à remettre à la police des personnes qu’eux-mêmes qualifiaient d’infiltrés. La situation a tourné plus tard aux affrontements avec les forces de l’ordre. Des personnes cagoulées ont commencé à arracher les pavés et les plaques d’égout du centre-ville et à attaquer la police. Des centaines e manifestant.e.s sont parvenu.es à entrer dans l’Assemblée nationale.
A Riobamba, la préfecture a été occupéeet des affrontements avec les flics ont éclaté dans la ville portuaire de Guayaquil, au sud du pays.
La veille, le 8 octobre, le président a fui la capitale en avion et s’est retranché à Guayaquil. Il y a eu des auto-réductions massives (comme celle de l’usine de Lactalis à Lasso). Trois champs pétrolier ont été envahis et sont désormais à l’arrêt. Les écoles sont fermées et les marchés de Quito annulés.
Au cours de la nuit, un commissariat de police a été incendié dans la capitale.
Le 7 octobre, c’est le 5ème jour de révolte contre le régime de Moreno, malgré l’envoi de l’armée. Un tank de l’armée a été attaqué et brûlé à Tambillo. Il y a eu des affrontements au passage de la marche indigène vers Quito. Il y a eu des manifestations et des barrages à Pastaza, Guaranda, Imbabura et de nombreuses autres localités.
[Repris de la presse et du fil twitter de ‘Ter-Ter et Liberté’]
Interruption des communications des porte-paroles du pouvoir – 4 octobre 2019
Le vendredi 4 octobre, un groupe d’indigènes s’est emparé, dans la province de Tungurahua, du mont Pilisurco où se trouvent les équipements relais et de transmission des stations de radio et des canaux de télévision couvrant les provinces de la Sierra Centro (Tungurahua, Cotopaxi et Chimborazo). Un communiqué de l’entreprise électrique Ambato informe qu’un générateur électrique a enregistré une diminution de charge dans le secteur de Pilishurco. “Cela limite le fonctionement normal du service électrique ce qui provoque la défaillance de communication des antennes relais de divers médias télévisuels et radio de la province”.
[Traduction de l’espagnol de El Comercio reçue par mail]