C’est de la récente prolifération d’éco-extrémisme et de certaines opinions déversées dans les médias proches de cette tendance, qu’a surgi la nécessité de ce texte. Sans prétendre établir un dialogue, nous allons éclaircir quelques points qui nous paraissent essentiels.
Depuis quelques années, diverses individualités de différents endroits du continent américain (particulièrement du territoire dominé par l’État mexicain), proches de positions et de luttes contre la civilisation ont donné forme à une tendance qu’elles ont appelée « éco-extrémisme ». Qu’est-ce que l’éco-extrémisme ? Bien qu’il y ait de subtiles différences entre celles et ceux qui se reconnaissent dans ce concept, nous pouvons plus ou moins dire qu’elles sont d’accord sur le fait de considérer comme leur ennemi l’ensemble de l’humanité : celle-ci et sa civilisation seraient incompatibles avec la Nature Sauvage. A leur avis, la guerre contre la civilisation est indiscriminée, et chaque personne représenterait donc un ennemi. L’humanité étant le problème, n’importe qui peut être une cible, quel que soit le genre, la condition économique, l’âge etc. Les formes d’attaque de ces groupes s’inspirent des expériences les plus diverses, peu leur importe de reprendre les « enseignements » de fanatiques religieux¹ comme ISIS ou de partis misant sur la libération nationale, tout leur sert, pourvu que les formes soient indiscriminées.
Un des groupes d’action les plus emblématiques de ce courant est « les Individualités Tendant au Sauvage » (ITS). En 2011, elles ont commencé à attaquer à l’explosif des centres de recherche technologique dans différentes villes mexicaines. Au fil des ans, les attaques ont continué et divers autres groupes proches sont apparus, tous ayant comme objectif commun la lutte contre la civilisation. En 2014, apparaît « Réaction Sauvage » (RS), qui concentre en son sein divers groupes éco-extrémistes et abandonne les sigles ITS. En 2016, ITS revient avec pour but principal d’étendre le projet à de nouveaux endroits. Cette même année, des attaques et des revendications liées à ITS sortent des territoires dominés par les États chilien, argentin et brésilien. Des organisations sympathisant avec cette tendance, allant d’une optique individualiste à l’anti-civilisation, comme par exemple les Sectes Egoarcas en Italie existent aussi autre part et des affinités avec l’éco-extrémisme sont également apparues en Allemagne, en France, en Finlande, etc.
Pour atteindre leur objectif, soit la fin de l’humain civilisé, ils se sont attribué toutes sortes d’attaques, allant d’engins explosifs laissés de jour en pleine rue à des incendies, des colis piégés et quelques assassinats. Ils considèrent en outre chaque phénomène naturel occasionnant des dommages aux vies et aux biens humains comme allant dans le sens de leurs principes d’en finir avec la civilisation et ont ainsi revendiqué sur leurs sites internet des raz de marée, des tremblements de terre, des avalanches, etc.
Entre la radicalité esthétique et le sacré
Les éco-extrémistes se qualifient d’individualistes et de nihilistes, beaucoup viennent de l’anarchisme et, selon leurs propres mots, ils et elles se sont rapproché.e.s de l’anarchisme en quête de « salut » et de « communauté libre » ; n’y ayant trouvé « qu’un ensemble de chrétiens moralistes », ils ont alors opté pour quelque chose de « plus radical ». Nous comprenons cette quête de « radicalité » plutôt comme l’appropriation de tout ce qui peut être vu comme « politiquement incorrect », selon les paramètres de l’opinion commune. Ainsi, si demain surgit un nouveau concept qui dérange ou gêne « l’humain normal », ils se l’approprieront sans doute. Or, la radicalité consiste à en finir avec la racine du problème, pas à sauter sur le plus extrême ou le plus provocant.
Leurs bases théoriques se fondent sur l’étude de quelques peuples de chasseurs-cueilleurs nomades ; selon leurs propres mots, ils et elles ont repris l’animisme païen, tout en créant pourtant une nouvelle foi, basée sur diverses déités ancestrales. Leur pensée sacrée polythéiste n’est peut-être pas aussi brutale que le Dieu chrétien, mais ça reste en fin de compte un (ou des) Tout-Puissant… Il nous semble étrange qu’ils se définissent eux-même comme individualistes et nihilistes, en croyant en même temps en des entités qui seraient au-dessus d’eux. Comment l’individu peut-il se développer intégralement, si sa réalité est conditionnée par quelque chose qui la contrôle ? Nous appelons et luttons pour détruire toutes les chaînes, crédos et lois et nous sommes ennemi-e-s de toute religion, qu’elle s’appelle christianisme, paganisme animiste ou Nature Sauvage. Aucune doctrine statique n’est au-dessus de nous.
« Libérons-nous de tout ce qui est sacré, n’ayons ni foi ni loi, et nos discours n’en auront pas non plus. »
Max Stirner
Nous voyons dans leurs textes à quel point ils prétendent détenir la Vérité et sacralisent leur guerre contre la civilisation dans une sorte de nouvelle inquisition contre tout ce qui, à leur avis, n’est pas correct ou contre tout ce qui représente les valeurs « civilisées ». En affirmant leur position comme « la seule réalité possible », ils et elles se placent nécessairement au-dessus des autres, définissant la ligne « du bien et du mal ». Leurs positions autoritaires évidentes sont étroitement liées à l’absolutisme de se sentir en possession d’une certaine sagesse et de se croire élu-e-s pour la Croisade Naturaliste.
Donc Saint est l’Être Suprême et tout ce en quoi il se manifeste ou se manifestera ; sanctifiés sont ceux qui reconnaissent l’Être Suprême, y compris ce qui est sien, c’est-à-dire y compris ses manifestations. Le Saint sanctifie en retour son adorateur qui par son culte même devient un saint et dont toutes les actions désormais sont saintes : un saint commerce, des pensées et des actions saintes, de saintes aspirations, etc… »
Max Stirner
Sur les critiques opportunistes
Comme ils et elles l’affirment justement, nous sommes différent-e-s, et il ne nous intéresse donc pas de nous étendre sur une critique détaillée et moins encore de tomber dans l’issue facile de l’insulte. La manière dont ils et elles questionnent l’anarchisme ne nous affecte pas, puisque nous ne partageons en rien leur manière de le voir, comme une doctrine avec des normes comportementales rigides et inamovibles. Pour notre part, nous le concevons et le vivons comme un ensemble d’idées et de pratiques anti-autoritaires qui s’affrontent à toute forme de domination. C’est une tension constante, pas une réalisation ou une idéologie. C’est la destruction de tout ce qui nous réduit en esclavage, en construisant de nouvelles relations entre tous les êtres qui habitons ce monde, et avec la Terre.
Alors que les anarchistes sont critiqué-e-s pour avoir une morale, comme si nous étions des religieux-ses en possession de la Vérité, nous affirmons pour notre part clairement que nous rejetons la morale, que nous considérons comme l’institutionnalisation de certaines normes et de comportements inamovibles, c’est-à-dire quand cela devient « c’est comme ça » et pas un apprentissage reposant sur l’expérience de ce que nous voulons. Nous préférons le terme d’éthique , venant d’ethos ou coutume, qui ne se réfère pas à une tradition, mais à l’expérience, à ce qui est dans nos habitudes. Nous ne sommes ni naïf-ve-s ni conformistes, nous savons qu’il existe dans l’anarchisme un large éventail de tendances, y compris opposées. Certain-e-s voient l’anarchisme comme un dogme, reprenant les postulats de compagnon-nes d’autres époques comme s’il s’agissait de saintes écritures. Nous pensons que cela revient à restreindre la liberté individuelle dans des formes organisatives. Les critiques de ces manières de penser et les divergences en ce qui concerne l’agir existent depuis que des anarchistes ont donné la priorité à l’intégralité de l’individu et/ou ont fait un saut qualitatif et radical dans les formes d’attaque. Les critiques de quelques éco-extrémistes à l’encontre de certaines formes d’anarchisme n’ont rien de nouveau… Des anarchistes le font depuis des décennies (pour ne pas dire plus d’un siècle). Nous n’attendons pas un jour pour la révolution, ni la légitimité des masses et nous n’avons pas de modèle uniforme de conduite à suivre.
Notre option est de détruire toute autorité
Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, beaucoup d’éco-extrémistes viennent de la mouvance acrate, particulièrement de la mouvance éco-anarchiste et primitivistes, et logiquement nous pouvons partager certaines choses, mais de nombreux problèmes de fond nous opposent. Nous pourrions nous étendre sur plusieurs points, mais nous aborderons plus spécifiquement la vision de l’autorité. Dans un texte que nous avons trouvé dans leurs médias de diffusion digitale, intitulé « Mythe anarchiste » il est écrit :
« Nous pensons que l’autorité et l’organisation hiérarchique ne sont par conséquent ni « bonnes » ni « mauvaises », mais que c’est simplement, que cela vous plaise ou non, quelque chose de très naturel dans le comportement humain depuis toujours. Nous pouvons donc être faux et tomber dans l’hypocrisie des anarchistes et des « antiautoritaires », ou assumer la réalité et l’utiliser comme il nous convient ».
Pourtant, bizarrement, ils et elles se définissent dans le même texte comme individualistes qui « ne baissent la tête devant personne » et qui plus est « n’ont pas besoin qu’on leur dise ce qu’ils ont à faire, quoi penser ou quelles décisions prendre ». Cette dichotomie, qui met dans le même sac hiérarchie et liberté individuelle, exprimée par l’auteur-e nous semble profondément contradictoire. Notre idée de l’individualisme part de la base de placer l’individu au centre de toute activité, c’est-à-dire qu’il n’est ni au-dessus du collectif, ni en-dessous, rien ne le soumet. Nous sommes complètement opposé-e-s à la position des éco-extrémistes, nous sommes ennemi-e-s de toute forme d’autorité et nous ne voyons pas la hiérarchie comme quelque chose de « très naturel » dans les organisations humaines. Pour le dire clairement ; anarchie vient du préfixe grec « an- » qui signifie « sans » ou « non »et de la racine « arkê » qui se traduit par « pouvoir » ou « commandement ».
Nous pensons que les relations de pouvoir reposent sur les ordres et l’obéissance, de manière plus ou moins coercitive, mais toujours violente. Pour appuyer leur « hiérarchie naturelle », ils invoquent habituellement divers comportements de peuples de chasseurs-cueilleurs. Nous leur répondrons sur ce terrain. Comme l’affirme Pierre Clastres dans « La Société contre l’État », après avoir étudié différentes tribus du cône sud (en laissant de côté les grandes civilisations Incas et Mayas) :
« C’est donc bien le défaut de stratification sociale et d’autorité du pouvoir qu’il faut retenir comme trait pertinent de l’organisation politique du plus grand nombre des sociétés indiennes ; certaines d’entre elles comme les Ona ou les Yagan² de la Terre du Feu, ne possèdent même pas l’institution de la chefferie ; et l’ont dit des Jivaros³ que leur langue ne possédait pas de termes pour désigner le chef. »
Presque tous les écrits connus sur le comportement de nombreux peuples originels américains proviennent de prêtres évangélisateurs, de conquistadors européens et de chercheurs contemporains. Les premiers et les suivants venaient de grands royaumes et connaissaient donc parfaitement l’obéissance, et les études suivantes l’ont confirmé. Clastres l’explique clairement :
« Or, l’expérience directe du terrain, les monographies des chercheurs et les chroniques les plus anciennes ne laissent là-dessus aucun doute : s’il est quelque chose de tout à fait étranger à un Indien, c’est l’idée de donner un ordre ou d’avoir à obéir, sauf en des circonstances très spéciales, comme lors d’une expédition guerrière. »
Nous observons, analysons et apprenons de différentes populations, mais il est clair pour nous que nous ne sommes pas et nous ne voulons pas être comme elles, sachant qu’il est même difficile pour nous, à partir de notre vision occidentale (que nous essayons de détruire aussi) de comprendre beaucoup de choses. Nous voulons en finir avec la domination et c’est dans cet exercice que nous construisons de nouvelles formes de relations, que nous créons de nouvelles dynamiques. Nous ne voulons pas celles d’autres, que ce soient des partis, des avant-gardes ou des indigènes.
Écrire cela nous fera très certainement taxer d’anthropocentristes hyper civilisé-e-s chrétien-ne-s ; peut-être le sommes-nous, nous ne cherchons à donner de leçons à personne, mais nous voulons poser les choses clairement. Nous ne voulons rien laisser de ce monde, pas même ses ombres, nous voulons détruire chacun des maillons de cette immense chaîne qui nous réduit en esclavage, y compris la civilisation, puisque nous sommes conscient-e-s des dommages qu’elle cause à tout l’environnement, mais nous ne pensons pas pour autant que la solution soit la misanthropie et de sacraliser la nature, nous pensons en outre que cela fait partie du problème.
[Publié dans Kalinov Most #1 (Octobre 2017), revue anarchiste internationale]