Parution : Métamorphoses – Sur la transformation urbaine et la mort sociale

Le document que vous êtes sur le point de lire est le fruit de quelques discussions nées du besoin de réfléchir et de clarifier les transformations qui s’opèrent dans la ville où nous vivons.

Naples est une ville particulière qui, contrairement à la plupart des villes européennes, n’a pas encore subi ce tournant définitif vers une réorganisation sociale urbaine. La ville en effet détient encore, dans certains quartiers et en particulier dans le centre historique, une superposition de catégories sociales et culturelles qui partagent le même territoire, et qui ne sont pas encore complètement absorbées par les projets de restructuration mis en place dans d’autres villes.

Mais la volonté de transformer Naples au nom du progrès et de la restructuration des politiques d’exploitation existe depuis le milieu des années 80, époque où a finalement été approuvé le projet de construction du centre de gestion qui aurait dû accueillir la « city », centre névralgique des activités administratives entre autres. Le projet a été achevé en 95, presque simultanément à l’ouverture du premier tronçon de la ligne 1 du métro qui semblait plus rapprocher qu’éloigner, comme ce fut le cas, des distances parfois incommensurables présentes sur le territoire napolitain.

D’autres projets destinés à changer le visage de la ville se sont succédés dans le temps, déterminant à certains endroits, grâce à l’ouverture des stations de métro et aux rénovations parallèles du mobilier urbain environnant (comme cela a eu lieu à Montesanto avec la reconstruction de la station Cumana), une augmentation du prix des loyers qui a généré un premier éloignement de certaines catégories de population historiquement résidente. Cela a néanmoins démarré lentement, puisque la ville, par une série de facteurs coïncidents, a résisté au processus de gentrification que les différentes composantes politiques ont toujours tenté de mettre en place.

Cependant, au cours des dernières années, ce processus a connu une accélération notable devenant plus que tangible en particulier dans le centre historique.

Cela fait des années que dans l’esprit des Napolitains a été ancrée la certitude, grâce à un martelage d’échanges de point de vue médiatiques à toutes les sauces et de toute forme, que pour résoudre les problèmes durables de la criminalité et du chômage, il suffirait de réévaluer les ressources culturelles et des politiques visant à encourager le tourisme. Parce que si le touriste vient à Naples, il y a plus de travail, moins de crime, moins de saleté, tout serait mieux. Se met donc en place un avantage fiscal pour l’ouverture de toutes formes de bed and breakfast, un diplôme de trois ans en « touristologie », des accords avec les navires Costa, et voilà que des hordes de touristes affluent à tous les coins de l’antique centre historique, à la recherche de Polichinelles, crèches de noël, mandolines et pizza à volonté. Plus de photos des fameux sacs poubelles, parce que ça ils les ont cachés sous le tapis, et on propose toute sorte plaisir au saint touriste qui est juste sacré …et quand le touriste a besoin de quelque chose…

La consécration des touristes nécessite un effort des Napolitains pour devenir plus civils, se laver le visage et se faire tout petit face à une telle entreprise qui se présente comme une manne purificatrice. Un business cultivé dans l’intérêt de tous, cachant en réalité un seul intérêt, celui de quelques-uns qui tirent profit des avantages économiques et politiques par la transformation de zones à revaloriser et à redorer et de zones à ghettoïser ou réaménager pour d’autres intérêts.

La requalification urbaine, avec un effet domino du centre historique à la banlieue investit inévitablement tout le territoire de la ville, ouvre la voie à la restructuration des profits, passant par le concept de « smart city » jusqu’à la dépersonnalisation de zones entières jusqu’ici caractérisées et vécues dans leur chair par des personnes.

Tout cela est très triste, mais il est encore plus triste de constater que l’essentiel du changement en cours est soutenu et accompagné par di-verses formes d’associationnisme et qu’une grande partie de ce mouve-ment qui se définit comme antagoniste en accélère la transformation de manière culturelle plutôt que structurelle, vers une pacification sociale de plus en plus poussée. L’appropriation des espaces dits libérés en très peu de temps reconnus par la municipalité elle-même qui leur en confie la gestion n’a d’autre but que de favoriser le revirement de toute attitude oppositionnelle. Chaque minime position conflictuelle est perdue dans la négociation démocratique, chaque voix extérieure au choeur reste prise au piège dans une pétition pour l’installation d’un feu de circulation ou une plainte au commissariat de police pour une vile agression fasciste.

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Les articles que vous trouverez dans cette brochure sont le résultat de nombreuses discussions, mais ils ne sont pas à prendre comme une écri-ture chorale. Chaque compagnon a essayé de mettre sur papier ce qu’il a retenu d’intéressant dans la discussion de son propre point de vue. Nous avons analysé la transformation sociale qui ont conduit les gens à abandonner les places, les intérêts du capital qui se cachent derrière chaque politique de restructuration urbaine et sociale, l’étroite interdé-pendance entre les villes et les territoires limitrophes strictement liés aux besoins énergétiques et nous nous sommes aussi demandé si nous croyons que cela vaille la peine de défendre ce type de ville en constante métamorphose. Pour autant, nous ne voulons pas faire une oeuvre nos-talgique sur comment Naples était belle auparavant et maintenant par contre… non, ce n’est pas du tout dans nos intentions. Nous savons de-puis l’enfance que c’est une ville difficile à vivre, pétrie par des mains sales, pompée et aspirée par tous les pilleurs qui sont passés par là. Ce que vous avez entre vos mains n’est qu’une réflexion sur ce qui nous a amené là et sur ce qui nous attend si nous ne décidons pas une fois pour toutes de prendre en main nos destins, nouvelles Destinées autopoïétique…

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