France : Nommer pour désigner et réprimer

« Les pensées et les actions hostiles à cette société ne doivent pas apparaître. Il faut les taire, les falsifier ou les rendre incompréhensibles. Les taire quand leur existence même est une attaque contre l’ordre établi. Les falsifier quand ce qu’on ne peut pas taire doit
être opportunément reconstruit. Les rendre incompréhensibles quand il est nécessaire d’accorder à la révolte quelques vérités partielles afin que s’évanouisse leur sens global. »

Le Loup Garou n°3 (Paris), février 1999

Suite à la belle attaque incendiaire contre l’entrepôt d’Eiffage le 8 octobre à Saint-Martin-d’Hères (Isère), les différents médias se sont lancés dans une valse d’interprétations pour tenter de nommer, désigner et ainsi préparer la répression contre ses potentiels auteurs. Des auteurs qui ne sont pourtant autres que de petits animaux libres et sauvages, des
« Renard·e·s », n’en déplaise aux rédactions épatées par les capacités subversives de ces goupils rusés, dont les derniers mots sont on ne peut plus clairs sur à qui ils s’adressent : « A tous les mutins, à toutes les mutines, Rage et courage pour saccager nos cages ! ».

Pour les journaflics chaussés de leurs grosses lunettes, il s’agirait par contre au choix (pour n’en rester qu’aux gros titres) d’ « activistes anarcho-libertaires » (France 3), d’ « activistes anticapitalistes » (Usine Nouvelle), d’ « anticapitalistes » tout court (Figaro), d’ « activistes
libertaires » (Le Dauphiné) ou tout simplement d’ « anarchistes » (France bleu). Difficile en effet pour des amis de l’ordre d’y comprendre quelque chose au marécage de l’anti-autoritarisme, lorsque les services spécialisés n’inventent pas une bonne grosse étiquette fourre-tout et commode de type l’ « ultra-gauche ». Difficile pour eux de s’y retrouver quand les animaux des vastes forêts du désordre sont tous des êtres singuliers mûs par des rages et des idées qui échappent à tout contrôle et à toute interprétation autoritaire.

Quant au texte de revendication lui-même, les journaflics se gardent bien d’offrir à leurs lecteurs la possibilité de le lire de ses propres yeux en en citant la source (Indymedia Nantes) et publient quasiment le même court extrait, tiré d’un « texte sans signature » sorti sur un très vague « site web, fréquenté par l’extrême-gauche » (France Bleu), d’un « site Internet, connu pour être dans la mouvance anti-capitaliste et anarchiste » (France
3), d’ « une des plateformes contributives habituelles de la nébuleuse anticapitaliste et anarchiste » (Dauphiné) ou encore du « site d’informations politiques alternatives Indymedia.org » (Figaro). Bref, ils font leur taf de porte-parole du pouvoir. On notera que le spécialiste justice/police du Daubé, Denis Masliah, qui tient à montrer que lui a bien
lu en personne le communiqué en citant de plus larges extraits que ses confrères, précise à propos de ces « plateformes contributives habituelles bla bla bla », que « d’une manière générale, les revendications postées sur les sites concernés sont considérées par les services d’enquête comme crédibles. » Confirmant en passant sa proximité notoire avec les services concernés.

Comme souvent, c’est finalement le torchon local qui remporte la palme, en publiant coup sur coup deux articles, directement puisés dans les eaux croupies du renseignement. Le 9 octobre sortait dans le Daubé une « carte interactive des actions revendiquées par la mouvance libertaire dans nos départements » (on adore le « nos »), reliant entre elles une douzaine d’attaques depuis mars 2017 [1]. En cliquant sur chaque icône, s’affiche ainsi
une photo de l’événement et un résumé à leur sauce. Mais comme cette contribution journalistique à l’enquête policière (à moins que ce ne soit le contraire) n’était encore pas suffisante, aujourd’hui 10 octobre est sorti un « décryptage » qui élargit encore les faits au-delà du bête rapport géographique [2]. Sont ainsi citées d’autres attaques -revendiquées ou pas – comme l’incendie récent d’un abattoir ou ceux contre des voitures du SPIP ou de la gendarmerie survenus dans d’autres régions (Besançon et Limoges). Ceci afin d’alimenter l’hypothèse policière que le lien réel, s’il en existait un !, serait plutôt celui du « combat contre l’enfermement ».

Un combat qui serait mené, textuellement, au sein « d’une nébuleuse libertaire – anarchiste », « par une ou plusieurs équipes commandos qui interviennent sur l’ensemble de la région Rhône-Alpes pour ensuite légitimer les discours qui sont à géométrie variable sur la plateforme internet dont on parlait [Indymedia Nantes] ». « Nébuleuse », « commandos », « légitimation », séparation et hiérarchie entre les mots et les actes,
l’Etat et ses sous-fifres mènent la charge en tentant comme d’habitude de nous renvoyer dans un effet miroir le reflet de leur sale gueule autoritaire.

Reste aux irrégulier.e.s de continuer leur propre chemin en toute autonomie, d’une part en défendant clairement tous ces actes chacun.e à sa manière (et moins ils sont défendus publiquement, plus il est facile pour le pouvoir d’isoler et de réprimer). En les multipliant également si bien d’autre part, que nos marécages restent impénétrables à toute cartographie journalistique, inextricables pour toute hypothèse policière, loin des
carcans associatifs (de « malfaiteurs » ou « terroristes ») dans lesquels ils voudraient nous enfermer.

Comme le disait un tract solidaire l’an dernier, « répandons plutôt le désordre et le feu partout où ces ordures nous pourrissent la vie ! »

[Reçu par mail]

Notes:

[1] Le lien : hxxps://www.ledauphine.com/isere-sud/2018/10/09/les-actions-revendiquees-par-la-mouvance-libertaire-dans-nos-departements-isere-drome-ardeche

[2] Le lien : hxxps://www.ledauphine.com/actualite/2018/10/11/nebuleuse-anarchiste-une-ou-plusieurs-equipes-commando-en-rhone-alpes-yylt

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