Plutôt que de rêver au grand soir, de se lamenter sur le réveil de la masse qui ne vient pas, d’attendre sagement le futur mouvement social qui ne vient pas non plus, je préfère de loin assouvir mes pulsions destructrices contre tout ce qui m’opprime et me dépossède. Je ne veux pas attendre, qui que ce soit, quoi que ce soit, surtout quand des potes purgent des années de prison pour s’être révoltés. Parce qu’agir quand d’autres insurgés croupissent en taule, ça me fait du bien, moralement et physiquement, et que je sais aussi que ça leur donne un peu d’énergie depuis leurs cages obscures. Saboter les machines qui t’aliènent, péter les vitres de banques ou d’assurances, foutre le feu à un pylône, procure un nouveau souffle tel que, même si je suis tout seul (parce que comme dit le proverbe, mieux vaut être seul que mal accompagné), ça vaut la peine de vivre ces moments-là. La révolte est la meilleure des thérapies, car elle permet d’en finir avec le rôle de victime si souvent endossé par les exploités et les opprimés, de mettre des bâtons dans les rouages de cette société-prison. C’est facile de tout remettre à demain, d’attendre que les « conditions objectives » soient réunies, pour partir à l’assaut du pouvoir et de ses représentants.
A quoi bon « vivre » à genoux dans cette société où règne la mort, qu’elle soit de l’ordre physique ou de l’ordre de l’esprit ?
Il y a ces spécialistes, en véritables fossoyeurs de l’anarchisme, qui viendront te faire la morale, cracher sur le sabotage et la violence insurrectionnelle, en affirmant que derrière tout acte de révolte il y a une manipulation du pouvoir pour mieux nous réprimer. S’ils vomissent les appels à la révolte et l’action directe, c’est bien parce qu’eux-mêmes ne ressentent aucune volonté de se défaire des filets de la domination et appliquent aux autres leur propre soumission à l’autorité.
Il y en a d’autres, qui n’ont d’yeux que pour l’alternative, en croyant qu’en faisant son petit jardin potager tu vas changer le monde… Pire, ils adaptent leurs discours éco-citoyens en se faisant passer pour révolutionnaires… Ils pensent manger sainement alors que toute la terre est empoisonnée par les activités du capital : des déchets de toutes sortes (radioactifs, industriels…) enfouis ou déversés dans les rivières et les nappes phréatiques aux hectares de terres gavés de pesticides, des centrales de charbon aux méga-projets de béton utiles au capitalisme et imposés par la démocratie (nouvel aéroport ou centre commercial…), des lignes THT aux éoliennes en passant par les incinérateurs, ces charlatans des temps modernes te vendent un monde de bisounours imaginaire pour mieux te maintenir dans la passivité.
Le futur, personne ne sait de quoi il sera fait, mais en attendant tu peux crever du jour au lendemain, tué par les flics ou par le travail, écrasé par le poids d’une machine ou de l’autorité qui ne cesse de renforcer son emprise sur nos vies, finir dans un HP ou en taule, ou bien continuer à survivre en avalant tout un tas de substances, licites ou illicites, qui te maintiennent en état de végétation dans ce monde où règne le vide. Ce vide, c’est aussi et surtout l’aliénation à la technologie, au portable ou aux réseaux sociaux, qui constituent la nouvelle laisse des gens, détruisant toute relation, anéantissant tout esprit critique. Cette société virtuelle, c’est le culte de l’apparence et de la superficialité, la quête frénétique aux biens et à la marchandise, l’abrutissement de masse par les médias et la télévision… Réseaux de fibre-optique et de communication sont les piliers de la domination. A chaque sabotage de télécommunications, c’est le capital et l’État qui morflent, c’est un peu d’aliénation en moins, ne serait-ce que pour un court instant. Livrer ces pylônes aux flammes, c’est jeter les bases pour réapprendre à se parler, à échanger, à vivre. Couper les lignes téléphoniques et les câbles internet, c’est paralyser l’économie, s’attaquer à ce monde de fric et de consommation, qui nous détruit chaque jour un peu plus.
Je vois de la vie dans toute révolte, dans tout pavé qui vole sur les gardiens de l’ordre établi, dans tout câble de communication qui part en fumée…
Pétons des câbles pour enfin réapprendre à vivre !
[Publié dans le journal anarchiste Kairos, n°2 – Janvier 2018]