Depuis quelques jours, la révolte gronde un peu partout en Tunisie. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues, sous le mot d’ordre « Qu’est-ce qu’on attend? », après l’entrée en vigueur au 1er janvier de la hausse de la TVA [1], une des nombreuses réformes d’un plan d’austérité. Ces dernières réformes viennent s’ajouter aux conditions de survie merdique et à une misère toujours plus dévastatrice.
D’après ce que rapporte la presse, la révolte se serait propagée comme une traînée de poudre ce lundi 9 janvier 2018, partout dans le pays. Saccages de bâtiments administratifs et de commissariats, pillages de magasins et affrontements avec les larbins du régime se sont poursuivis dans les soirées de mardi et de mercredi.
Dans la soirée de lundi, et ce jusqu’à 4h du matin, des révoltes ont éclaté un peu partout dans le pays, que ce soit à Ettadhamen, Intilaka, La Mannouba, le Kef, Kasserine, Gafsa ou Kébili… des affrontements ont fait rage entre flics et émeutiers ce lundi.
Au lendemain de cette nuit agitée, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, khelifa Chibani a fait savoir que deux voitures administratives appartenant aux unités sécuritaires ont été incendiées, outre pillage du magasin général et actes de vandalisme à la cité d’El Intilaka et Ettadhamen, saccages des postes de police à El Battan relevant du gouvernorat de La Mannouba, pillage de la recette des finances à El Gtar (Gafsa), pillage de la fourrière municipale à la cité El Bassatine à Kasserine et vol de 34 motos, et attaque de deux agences bancaires.
Une importante quantité de tabac, et des aliments ont été également dérobés. Des documents dans plusieurs institutions publiques sont aussi partis en fumée. Le délégué d’El Mnihla, un agent de la garde nationale, deux policiers et un chef du district de sûreté nationale à Kasserine ont été pris pour cible et blessés, tout comme trois autres agents de sécurité à Tebourb, qui ont été attaqués à coups de cocktails Molotov et de pavés. Dans la soirée, un manifestant a été tué par les flics: iIl s’appelait Khomsi el-Yerfeni, il était chômeur, et selon plusieurs témoins, il serait mort après avoir été percuté intentionnellement par une voiture de police. Cette version est démentie par le ministère de l’Intérieur tunisien, qui parle lui dans un communiqué d’un décès par asphyxie pour cause d’asthme. En effet, des manifestants affirment qu’il serait décédé asphyxié par les gaz lacrymogènes.
Le lendemain, mardi 9 janvier, la soirée a de nouveau été émaillée d’émeutes dans de nombreuses localités (à Jedaïda, dans le gouvernorat de La Manouba, ainsi qu’à Gafsa (sud), Tebourba, Kasserine et Jelma, localité proche de Sidi Bouzid, d’où était partie l’insurrection de 2010). Dans ce contexte insurrectionel et du fait que les émeutes se propagent, le gouvernement a fait appel à l’armée: flics et militaires sont désormais déployés en nombre devant les institutions publiques afin d’assurer leur protection. Mais cela n’a pa suffi: à Jedaïa, des émeutiers ont pris d’assaut la fourrière municipale pour y récupérer plusieurs motos confisquées par les autorités. Les autres véhicules se trouvant dans le même endroit ont tous été saccagés. Par ailleurs, d’autres manifestants ont tenté de bloquer la route nationale numéro 7.
Dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, les forces de l’ordre ont arrêté deux individus ayant saccagé le générateur électrique de la société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG), provoquant une coupure d’électricité dans plusieurs quartiers.
A Gafsa, un pompier a été blessé au niveau de l’œil droit. Il a reçu de plein fouet une pierre, alors qu’il tentait de s’opposer à un sabotage incendiaire des flux: il tentait d’éteindre le feu qui a été mis dans plusieurs roues par des manifestants. Les roues en question étaient placées au niveau du passage à niveau entre les chemins de fer et la route nationale numéro 15 reliant Gafsa et Gabès. L’agent a aussitôt été transféré à l’hôpital régional Houcine Bouzaiene de Gafsa. Toujours à Gafsa, 8 personnes ont été interpellées pour avoir attaqué le poste de la police nationale d’El Ktar, attaqué et mis à feu le siège de la recette des finances et volé deux véhicules et un motocycle du dépôt municipal.
A Jelma, des insurgés ont attaqué le commisariat, en tentant d’y mettre le feu.
Plus au Nord, à Sousse, des groupes de jeunes ont procédé au blocage du rond point de Sidi Abdelhamid et celui de Kouchet El Bilik. Le poste de police de Bouhsina a été pris pour cible avec des jets de pierres, tandis que d’autres émeutiers ont tenté de forcer l’entrée du centre commercial de Khezama, bien gardé par les forces de sécurité.
A Korba (gouvernorat de Nabeul), les forces de l’ordre ont été attaquées à coups de pierres, qui ont répliqué à grands renforts de lacrymo.
On signale, également, le début des hostilités à Testour, relevant du gouvernorat de Béja. De fait, l’accès à la route nationale numéro 5 a été complètement bloqué par les protestataires qui ont mis le feu à plusieurs roues. D’autres délégations de Béja ont aussi été le théâtre d’affrontements: à Nefza, la fourrière municipale a été prise d’assaut par des groupes de jeunes en colère qui ont réussi à reprendre ce qui leur avait été volé. Ils y ont ensuite mis le feu, pour ensuite forcer l’entrée de la recettes des finances et l’incendier. De plus, un poste de police avec des agents retenus à l’intérieur a été incendié.
A Yasminet (Ben Arous) et à Tunis, deux magasins ‘Carrefour Market » ont été pillés et saccagés malgré les dispositifs policiers importants. A Yasminet, il y a aussi eu une tentative de forcer un dépôt de la douane.
Toujours à Tunis, un distributeur automatique de billets (DAB) a été saccagé à Sidi Hassine Sijoumi, un policier dépossédé de sa moto à la cité Helal et à El Kabaria, les forces de l’ordre ont empêché la prise d’assaut d’un poste de police.
Dans la délégation de Jebeniena (gouvernorat de Sfax), il a été rapporté qu’un automobiliste a délibérément percuté la voiture du délégué de la région alors qu’il discutait avec des jeunes protestataires, blessant grièvement son chauffeur.
D’après le minsitre de l’intérieur, 44 personnes ont été interpellées lors de cette deuxième nuit. Sur ces deux nuits de révoltes, 49 policiers et 8 gardes nationaux ont été blessés et plus de 200 personnes arrêtées à travers le pays, tandis que 45 voitures de police et 12 véhicules de la Garde Nationale ont été endommagées, sans préciser le nombre de véhicules incendiés.
La crainte du pouvoir tunisien de voir la situation devenir incontrôlable est palpable: si le recours à l’armée nationale l’illustre parfaitement, il est important de mentionner le communiqué de presse du parti islamiste Ennahda qui, rappelons-le, est au pouvoir [2]. Dans un communiqué de presse publié mardi soir, le parti religieux dénonce « tout mouvement anarchiste » qui s’attaque à la propriété, à l’Etat et à ses larbins en uniforme. Il évoque notamment « l’obstination de quelques individus à semer l’anarchie » et « quelques actes décrits comme « gauchistes » à éviter impérativement ». Il a de plus appelé le peuple tunisien à « faire prévaloir l’intérêt national », se rangeant derrière les positions du syndicat patronal, l’UTICA. Par ailleurs, le puissant syndicat de gauche UGTT, en bon chien de garde de l’Etat et du capital, a condamné « la violence et le pillage », appelant à « protester de manière pacifique pour ne pas être utilisés par des parties qui ne veulent pas le bien de notre expérience démocratique naissante ».
Mise-à-jour, 11.01.2018
Les révoltes se sont pousuivies un peu partout au cours de la nuit de mercredi à jeudi. Après avoir bloqué les routes pour empêcher les forces de sécurité d’avancer, les émeutiers les ont accueillis par une pluie de projectiles, avant de prendre d’assaut magasins, centres commerciaux, commissariats… Les médias tunisiens, qui parlent d’une accalmie dans le but de rétablir l’ordre dans le pays, reconnaît toutefois qu’elle est relative, puisque les affrontements ont repris dans de nombreuses localités: cité Ettadhamen, Ibn Khaldoun, Djebel Lahmar, Ezzahrrouni, Ezzahra, Hammam Lif, El Agba, Nabeul, Béja, Thala, et Sousse, où des routes ont été bloquées par des barricades en feu et des policiers visés par des jets de pierres. Des pillages et saccages de magasins ont été rapportés dans de nombreuses localités du pays dont notamment dans des gouvernorats de Béjà, Nabeul, Kasserine, Gafsa, La Manouba et même à Tunis, plus précisément dans les quartiers d’El Intilaka, d’Ibn Khaldoun, d’El Kabaria et Ibn Sina. Pour parer à ces expropriations de nourriture et autres, l’Etat a envoyé de nombreux renforts policiers et militaires.
Au moins 10 voitures de police et une autre d’un citoyen ont été incendiées à Nabeul.
Des attaques et des tentatives d’incendie de sièges des forces de sécurité à Thala, El Agba, Nefza, et Ibn Khaldoun ont été enregistrées. 21 agents de sécurité ont été blessés au cours de cette même nuit.
A Thala, la situation est particulièrement devenue incontrôlable, avec l’incendie du siège du District de sûreté de la région, ce qui a entraîné l’évacuation des lieux par les forces de sécurité et leur remplacement par des unités de l’Armée et de la Garde nationale.
A Siliana, des routes ont été coupées afin de permettre à un groupe de jeunes insurgés d’attaquer le siège du Tribunal.
Mais pour cette troisième nuit d’émeutes, l’Etat a pu compter sur un autre type de renforts: plusieurs citoyens se sont mis à collaborer avec les flics, notamment à Bab El Khadra et ce en leur montrant les ruelles où les insurgés se cachent. D’autres citoyens ont protégé leurs quartiers et fait avorter les tentatives de pillage des magasins, c’est le cas à la Cité Ibn Khaldoun, à Nabeul et à Ezzahra. « En une seule nuit, les forces de l’ordre sont parvenues à arrêter 328 casseurs en flagrant délit de saccages. » annonce le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khelifa Chibani. Rien qu’en une nuit, les flics ont pu arrêter bien plus de révoltés qu’au cours des deux nuits précédentes, ce qui laisse à penser que le meilleur des flics reste le citoyen.
Solidarité avec les insurgés !
[Reformulation de la presse tunisienne par Sans Attendre Demain]