Le 8 novembre 2017, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris composée de juges spécialisés dans le domaine des délits de presse, devait passer un compagnon accusé d’une double provocation.
Les sourires du crime
Un compte-rendu du procès du 8 novembre à Paris pour provocation
Le 8 novembre 2017, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris composée de juges spécialisés dans le domaine des délits de presse, devait passer un compagnon accusé d’une double provocation. Une première portant «à la commission de dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes», et une seconde portant «à la commission d’une atteinte volontaire à la vie». En langage ordinaire cela donne «appel à la destruction» et «appel au meurtre de flics», pour d’avoir reproduit le 18 février sur le site cettesemaine.info une invitation passée la veille sur Indymedia Nantes, et invitant à un apéro-discussion solidaire avec les inculpés de l’attaque incendiaire de la keufmobile en mai 2016. Inculpés qui ont pris en septembre dernier de lourdes condamnations de 1 à 7 ans de prison.
Deux mots sur le dossier
Comme il n’est pas forcément inutile par les temps qui courent d’apporter quelques précisions techniques, on posera simplement ici le déroulé de la construction du dossier judiciaire. Tout d’abord, il s’agit d’une plainte initiée par le ministère de l’Intérieur contre un site anarchiste.
Le 18 février, jour même de reproduction du texte sur cettesemaine.info, la plate-forme PHAROS reçoit une dénonciation anonyme, se saisit de l’affaire, et c’est donc tout d’abord l’OCLTIC (Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication) basé à Nanterre qui gère l’affaire. Les deux phrases incriminées resteront les mêmes du début à la fin. Rappelons-les une fois pour toutes : « Nous ne demanderons pas justice, pas plus que nous ne parlerons d’ «innocence» ou de «culpabilité» car nous détestons la justice autant que les flics et l’ordre qu’ils défendent. Répandons plutôt le désordre et le feu partout où ces ordures nous pourrissent la vie ! » ; et « À la 1ère, à la 2ème, à la 3ème voiture brulée, on aime tou-te-s les grillades de condés ! » Dénichant rapidement un IP et un domicile qui lui correspond suite à une demande à l’hébergeur commercial de ce site (OVH), le seul IP qui s’est connecté à la partie administration du site en question ce jour-là, l’OCLTIC boucle son sale travail dès le 22 février. Il retient initialement la qualification d’ « apologie de terrorisme » puis finalement celle qui restera, de « provocation non suivie d’effet au crime ou au délit ». Cela tombe d’ailleurs bien, puisque l’IP correspond à celui d’un ennemi déclaré de l’Etat, un « individu connu des services de Police pour des faits de violences volontaires, vol avec effractions et de nombreuses destructions/dégradations en qualité de mis en cause», selon le fichier de Traitement des Antécédents Judiciaires reproduit avec délectation dans la procédure.
Puis, sur instructions officielles de l’Etat-Major de la police judiciaire de la préfecture de Paris, l’OPJ zélée transmet directement la procédure à… la Direction du Renseignement de la dite préfecture (DRPP), soit la section locale de la DCRI. Ce sont ces derniers, dont la réputation en matière de terrorisme d’Etat n’est plus à faire, qui vont garder sous le coude la procédure du 22 février au 5 avril, sans jamais plus apparaître dans le dossier. C’est aussi chez eux que s’opère un second choix : celui de continuer les poursuites, en confiant début avril l’enquête préliminaire à une seconde brigade, la BRDP (Brigade de répression de la délinquance à la personne).
La BRDP va travailler du 5 avril au 23 juin 2017 en étudiant de nombreuses pistes qui ne la mèneront nulle part : étude de la carte prépayée et du téléphone laissé pour payer le serveur, étude du titulaire de la boîte postale ouverte en province au nom du journal «Cette Semaine» qui a précédé le site incriminé, étude du mail de contact du site et du mail de contact avec le serveur, etc. Pour tenter d’y voir plus clair à partir de l’IP déniché, seul élément en leur possession, la BRDP va directement demander une perquisition au domicile de l’anarchiste concerné. Pour la justifier auprès du procureur et du JLD, elle va arguer que l’intéressé est «susceptible de ne pas répondre aux convocations» et préciser que «cet individu appartient à la mouvance anarcho-autonome, pouvant se livrer à des actions violentes, et refusant systématiquement de coopérer avec les services de l’Etat». La date choisie est celle de l’entre-deux tours à l’élection présidentielle, le 26 avril, et l’anarchiste notoire étant absent, elle défoncera les maigres panneaux de bois de la porte, s’emparera du matériel désiré et désignera deux témoins d’office pour la perquisition. Un récit existe déjà ici. Le compagnon se rendra dans leurs services pour savoir de quoi il en retourne (un simple numéro de téléphone avait été scotché sur les restes de la porte) le 10 mai, et, notera le brigadier de service dans ses conclusions, « Monsieur X refusait, comme attendu, de coopérer avec nos services, refusant de répondre à toute question ». Au cours de l’été arriveront une série de recommandés postaux des huissiers de justice, fixant une audience-relais le 11 octobre devant la 17e chambre, puis une audience de fond le 8 novembre dernier. Pour ne pas interférer avec le procès du quai de Valmy en septembre bien que les deux soient en partie liés puisque le point de départ technique est un texte solidaire avec l’incendie de la keufmobile, le compagnon choisira plutôt de rendre public la seconde date, et libre à chacun-e de s’en emparer à sa manière.
Plusieurs textes anonymes ont ainsi circulé en octobre, comme cet appel à une discussion publique à Paris le 31 octobre « pour discuter de comment continuer à poser des mots solidaires sur les actes de révolte qui nous parlent, sans transiger avec la nécessité de porter des idées et sans nous cacher derrière la défense de la liberté d’expression » ou encore cet Almanach illustré du soir tiré à des milliers d’exemplaires, mais aussi deux appels à se rendre au procès («ne laissons pas [la justice] accomplir sa sale besogne dans le calme»), sans compter les autocollants reproduisant dans la rue les phrases incriminées (et qu’on retrouvera aussi dans le tribunal).
Deux mots sur le procès
Les boiseries de la 17e chambre étaient noires ce 8 novembre. Noires de nuées de robes d’avocats qui discutent avec le président pour des histoires de reportage télé, d’injures ou de diffamations, noires aussi de la colère d’une vingtaine d’anarchistes et anti-autoritaires sur les bancs du public habituellement déserts. Après une demie-heure technique où tout ce beau monde fixe des dates, le président Thomas Rondeau, Môssieur police-de-l’audience bien campé derrière ses petites lunettes dorées d’arrogance et de pouvoir, décide que la première des trois plaidoiries sera la nôtre.
Le compagnon est appelé à la barre. C’est un assesseur qui mène les débats. Il assène que tout cela doit rester serein, et l’inculpé lui répond immédiatement que cela dépend largement d’eux aussi, qu’il y a deux côtés antagoniques. Commence la formalité de l’identité, et plutôt que de la décliner en demandant des «oui» de confirmation à l’intéressé, l’assesseur tente un mode flic : nom, prénom, date de naissance, adresse. Ca commence donc forcément à coincer, et dès la date de naissance. -«C’est écrit un peu partout dans le dossier !», -«oui mais j’ai besoin de vous l’entendre dire», – «vous sous-entendez que la police a utilisé des faux-papiers dans le dossier ? c’est xx/xx/xxx», – «dites-la normalement !» et voici que le compagnon se met à épeler lettre par lettre le mois le plus long de l’année, le président police-de-l’audience et son assesseur commencent à bouillir. -«votre adresse ?» -«celle où vos collègues sont venus perquistionner, c’est écrit dans le dossier» -«c’est bien la votre ?» -«Mettez donc adresse présumée dans vos fiches, c’est xx». Puis l’assesseur commence la lecture du résumé de l’affaire en lisant les phrases incriminées. – « Répandez le désordre et le feu…» – «Non, c’est Répandons !» – «Vous aurez la parole tout à l’heure !» – «Oui, mais c’est Répandons, pas Répandez !» recoupe l’inculpé avec un petit sourire. Et c’est bien tout ce qui se passera à la barre ce jour-là en présence du compagnon. Sur ce second petit moment de confrontation avec les règles tacites d’une justice bien rendue où on doit s’écraser sans broncher, le président police-de-l’audience saisit soudain son micro et demande aux deux gendarmes présents d’expulser trois solidaires assis dans le public qui ont souri. Ces derniers protestent et refusent de bouger. – « On ne sourit pas, l’audience doit se dérouler dans le calme. L’audience est suspendue jusqu’à votre expulsion !» Puis la cour se barre dans son arrière-salle.
S’en suit un moment de stupéfaction, où les deux gendarmes tentent en vain de parlementer sous les quolibets, puis sont renforcés en vain par trois autres, qui devant leur impuissance appellent des renforts. Des commentaires fusent à haute voix dans la salle contre la démocratie, la justice. Le compagnon inculpé a quitté la barre immédiatement et rejoint les solidaires. Il tente une phrase sur la situation. – « Une justice protégée par des militaires en arme en dit long sur… » – « Outrage, outrage ! » gueule aussitôt la procureure restée au fond pour tchatcher avec la greffière, avant même d’avoir entendu la suite outrageante. – « Ca en dit long sur ce que vous alliez plaider au nom du ministère de l’Intérieur et de la DRPP ! » – « Je note, monsieur X, je note vos propos ! » Elle ne la ferme que lorsqu’elle est assaillie de tutoiements venus du public qui la prennent à partie, et se retire à son tour à l’abri des regards et des quolibets.
Une petite troupe de gendarmes énervés déboule alors dans la salle, certains reconnaissent des visages connus pour s’être confrontés à eux tout au long du procès de la keufmobile cramée qui s’est déroulé un mois et demi plus tôt. Ils tentent de se saisir des trois importuns au sourire narquois, une grande partie du public se lève alors et intervient (l’inculpé y compris). Ils sont plus nombreux, gantés et énervés (mais pas plus que nous), poussent et bousculent tout le monde vers la sortie de la salle, puis décident de nous accompagner jusqu’à la sortie du tribunal dans la rue. Résonne alors en choeur dans le palais d’infâmie le slogan «tout le monde déteste la justice» jusque dans la cour, tandis que des centaines de papillons reproduisant les phrases incriminées volent dans les airs, avant un ultime « De Limoges à Grenoble, vivent les casernes de gendarmerie en feu» lancé à la face des hommes en uniforme avant de franchir les grilles. On apprend par la suite que les gendarmes chargés de l’entrée au tribunal ont sévèrement filtré plusieurs solidaires, conduisant à les retarder ou pour l’un à l’accompagner physiquement jusque dans la chapelle du tribunal, vu qu’il avait emprunté la file des touristes pour gagner du temps.
Du côté de la salle quasi-déserte, ça pue un peu qu’à l’ordinaire. Des boules puantes ont appesanti l’atmosphère, et la suspension d’audience sera plus longue que prévue, les gendarmes ayant été contraints d’ouvrir les fenêtres. Les petites souris solidaires qui sont restées pour entendre le reste du procès sont fouillées pour re-rentrer dans la salle, sauf le RG qui présente simplement et sans vergogne sa carte police aux gendarmes. L’assesseur reprend alors son résumé de l’affaire, insistant sur le fait que le compagnon a été entendu par les services de police mais n’a répondu à aucune question, qu’il a installé un logiciel du «dark net» sur son ordinateur, etc. En l’absence de la plupart du public, de l’inculpé et de son avocat, le procès est plus facile, et c’est au tour de la procureure de faire son show vengeur. Elle met en avant l’ «extrême gravité des propos», aggravée par l’attitude du compagnon inculpé, concluant par un «de toute façon je ne m’attendais à aucune décence de la part de la défense». Toute sa plaidoirie va s’articuler autour d’un point de droit pour récuser les conclusions écrites de la défense (à défaut d’être orales), puis d’un second sur cette question de la «décence».
Concernant la première phrase, «Nous détestons… Répandons plutôt…», elle repousse les jurisprudences utilisées par la défense comme trop anciennes, qui disent que pour être directe, la provocation doit être précise. La procureure s’indigne ainsi qu’on ait osé invoquer la chanson de Johnny Hallyday «Allumer le feu» pour mettre en avant le côté festif et agitateur de cette pratique. La salle ne peut s’empêcher de rire, et même un juge est contaminé, sans toutefois être expulsé… Elle reprend en disant que ces propos interviennent dans le contexte de l’affaire du quai de Valmy, et que «répandre le feu» concerne le fait de brûler des voitures de flics, sachant que sa jurisprudence à elle en matière de provocation concerne avant tout «l’état d’esprit propre à susciter le crime». Les anarchistes étant décidément bien trop «indécents» à son goût et dotés d’un «état d’esprit» rédhibitoire, elle demande la condamnation.
Concernant la seconde phrase sur les «on aime tous-te-s les grillades de condés», elle en revient d’abord à la «décence». La défense s’est en effet permis de faire remarquer que l’emploi du verbe «aimer» peut se référer au plaisir de griller des policiers ou encore au plaisir qu’ont les policiers à faire des grillades et que ma foi, en matière de goûts, hein… Face à «l’indécence» de cet argumentaire, elle affirme d’une part qu’il s’agit d’une apologie, et d’autre part que comme le début de la phrase est «à la première, à la deuxième, à la troisième voiture», il s’agit en réalité bien d’une provocation, demandant là-aussi une condamnation.
Cerise sur le gâteau, elle conclut en disant être bien consciente que le compagnon n’a pas écrit ces propos puisqu’ils ont été repris d’Indymedia Nantes, un site qui ne fournit jamais les IP et publie ce genre «d’articles poubelle», mais que cela n’y change rien puisqu’il les a repris à son compte.
La procureure demande donc une condamnation volontairement sévère, selon ses dires, à un an de prison avec sursis, précisant que l’absence de casier de l’intéressé a été pris en compte, et que sinon elle aurait demandé plus. Les juges fixent ensuite la date du rendu, ce sera le 21 décembre à 13h30, même chambre.
Cette affaire, gérée du début à la fin par le ministère de l’Intérieur est révélatrice de la pression et du chantage que l’Etat entend désormais aussi renforcer contre les subversifs anti-autoritaires. La classique manoeuvre d’en choisir quelques-uns pour adresser un message à tous, de tenter de briser les vases communicants entre des idées et des actes de révolte et plus généralement de punir par un moyen ou un autre celles et ceux qui s’opposent à lui, qui plus est lorsqu’ils ne s’en cachent pas, ne changera pas la donne. Les actes d’insoumission n’ont besoin d’aucune provocation ou incitation pour se répandre, et les idées qui les défendent sont bien trop libres pour passer sous les fourches caudines du code pénal et de toute justice. Ce procès n’a été qu’un (tout) petit moment de conflictualité dans un monde où les puissants s’engraissent à l’infini sur la misère et l’exploitation, où ils empoisonnent la terre au nom du profit et assassinent des milliers d’êtres humains à leurs frontières parce qu’ils n’ont pas le petit bout de papier nécessaire. Un monde d’autorité qu’il est plus que temps de détruire.
La solidarité c’est l’attaque, avec indécence et un état d’esprit bien acéré
Vive l’anarchie !
[Publié sur indymedia nantes, jeudi 9 novembre 2017]
Le procès avait à peine commencé que des frictions verbales ont eu lieu entre un des juges (un des « assesseurs ») et le copain inculpé, sur des trucs assez futiles. Dans la salle, deux-trois personnes ont esquissé un sourire, et le juge principal/central a pété les plombs direct: « les trois là-bas, vous sortez ! ». Refus logique et serein des trois personnes visées. Le juge appelle les gendarmes présents dans la salle à les faire dégager, et comme les trois personnes refusent encore et encore, le juge suspend la séance et des gendarmes déboulent en nombre dans la salle pour expulser les trois personnes-qui-ont-souri (outrage ! scandale ! rébellion !?). Une grande majorité des personnes présentes se lèvent en solidarité avec les personnes-qui-ont-souri, s’interposent entre elles et les gendarmes, et au final c’est pratiquement tout le monde qui sort du tribunal, y compris le copain inculpé.
Les gendarmes raccompagnent tout le monde vers la sortie, sous les colibets et les slogans hostiles à la Justice, des petits papiers avec une punchline contre la Justice sont lancés ici et là.
Peu de temps après, le procès reprend comme si de rien n’était, sans le prévenu/inculpé, sans avocat, pratiquement sans « public », mais avec quelques gendarmes au cas où.
Ça parle de cettesemaine.info, d’adresse IP, de perquise, de saisie de matériel informatique, d’indices condordants. Ça parle aussi de tor-browser (mais visiblement pas utilisé systématiquement) et de ces satanés sites Indymedia, connus pour ne lâcher aucune info à la police ou à la Justice, leur opacité faisant rager la proc’ (gros bisous aux Indymedias ! ça faisait plaisir d’entendre ça).
La proc’ a essayé de faire comprendre pourquoi cette affaire est sérieuse en dénonçant l’ironie du dossier de la défense qui compare le texte incriminé à la chanson de Johnny Hallyday « Allumer le feu ». Elle a même reproché à un des juges d’en sourire (qui pour le coup était à deux doigts de se faire sortir !).
Elle a terminé son discours en demandant aux juges « d’entrer en voie de condamnation », « très sévèrement » malgré le casier vierge de l’inculpé: douze mois de prison avec sursis.
Délibéré, jeudi 21 décembre, à 13h30.
[Publié sur Indymedia Nantes (publié en commentaire à l’appel « Rendez-vous au procès contre le texte appelant à un apéro-discussion« ), mercredi 8 novembre 2017]