“Je suis scotché à la mienne et toi à la tienne. Ecoute ta montre, son tic-tac est un murmure”
Le confinement a des conséquences sur l’un des fondements les plus importants de notre vie: les liens entre individus. Ceux-ci sont contraints de s’éloigner, de se rompre, de remplacer le contact de chair et d’os par l’isolement des débits et des écrans. Ce n’est pas comme lorsque quelque’un que l’on aime traverse des situations essentielles dans un pays éloigné, où on a la certitude que, même si ce lien est sûrement poussiéreux, il sera intact à son retour, ou qu’il vivra dans la mémoire; mais là, on a le soutien de toutes les autres relations sur lesquelles on compte dans notre vie quotidienne. Cette situation de quarantaine a interrompu de force le cours de nos interactions sociales du jour au lendemain, a confiné nos vies en un module d’isolement.
Il y a celles et ceux qui ont de la chance et au moins (au moins parce que cela ne remplit absolument pas le vide laissé par les liens à distance) peuvent passer le confinement avec des personnes qui s’aiment et qui se soutiennent mutuellement, mais qu’en est-il des personnes qui vivent seules? Qui entendra leurs appels à l’aide lorsqu’un suicide alimenté par l’anxiété frappent à leur porte? Et les femmes qui ont leur propre maton à la maison? On dit que la police est à l’affut d’appels pour violences sexistes, mais nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la police résolve ces problèmes, encore moins lorsqu’on sait que les flics contribuent la plupart du temps à la maltraitance et à l’humiliation des femmes violentées. De plus, en étant vraiment enfermé.e avec une personne qui vous domine, est-il possible de prendre le téléphone? De sortir du domicile? Les chiffres des violences et meurtres sexistes nous montrent que ce n‘est pas le cas. Et celles et ceux qui n’ont pas d’endroit où vivre? Celles et ceux que les militaires “aideront” et “déplaceront”. Nous ne devons absolument pas faire confiance à ce que l’armée dit vouloir faire quand on est en train de regarder parce que nous sommes enfermé.e.s chez nous.
Et pour en remettre une couche, la panique sociale a non seulement fait que les gens ont individuellement rompu leurs liens, mais qu’ils cherchent également à briser ceux des personnes qui tentent de résister. En invectivant de leur balcon pour avoir marché ensemble dans la rue, pour s’être donné la main, s’être fait des câlins, s’être embrassé.e.s… Angoisse collective sur la base de “Je reste à la maison et toi tu te fous de nous”. Mais parler sur whatsapp, skype, les réseaux sociaux et d’autres alternatives fournies par la technologie n’est même pas valable pour sortir du bourbier d’anxiété dans lequel nous avons été plongé.e.s. On a besoin de contact, on a besoin de marcher avec quelqu’un pour maintenir des liens et ne pas sombrer dans l’hystérie, sans avoir à penser qu’une patrouille de flics va nous mettre une amende.
Que se passera-t-il lorsque nous pourrons retourner dans la rue et que nous serons incapables d’interagir en groupe, de vis-à-vis sur une place? Lorsque l’anxiété sociale sera généralisée et qu’il faudra s’unir pour lutter contre ce monde de merde dans lequel nous vivons?
Ne laissons pas la panique sociale et le contrôle étatique détruire ce que nous avons de plus précieux, renforçons nos liens pour qu’ils soient indestructibles et qu’ils balayent la domination.
[Traduit de l’espagnol de Madrid Cuarentena City, Mars 2020]