« Puissance et vitesse font de lui un athlète particulier. Son truc, ce sont les courses courtes et toniques »
Une journaliste
Régis Haegelé a 33 ans et vit à Sélestat, une petite bourgade du Bas-Rhin comme les autres, avec ses maisons trop kitsch à colombage, ses nids de cigogne et son folklore désuet. C’est un amateur de course à pied de bon niveau qui a régulièrement les honneurs de la presse régionale pour ses performances en Alsace et dans les Vosges sur le 5 et le 10km. Totalement inconnu des services de police au point de passser pour un « monsieur tout le monde », il connaît surtout parfaitement tous les petits sentiers viticoles enchanteurs de sa région, qu’il parcourt jusqu’à dix fois par semaine pour s’entraîner la veille des courses amateurs qu’il affectionne.
Mais quand on aime à ce point la course à pied dans la nature, n’y a-t-il pas de quoi être énervé par toutes les voitures ? Envahissant tout espace, traînant dans leur sillage des coulées de bitume jusque dans les coins les plus reculés, encrassant les poumons bien ouverts des citadins et racourcissant le souffle des promeneurs, ne représentent-elles pas sans conteste le signe éclatant d’une civilisation de la mort pour qui courir est la vie ? D’ailleurs, quand on aime la course à pied aussi passionnément, pourquoi la pratiquer seulement de jour, et pas aussi lorsque la lune embrasse les étoiles ?
Le ciel n’y est-il pas plus souriant, le silence enveloppant plus léger, les jeux d’ombres changeants plus délicats… et les voitures au repos ?
Et puis merde, pourquoi un amoureux de course en solitaire ne pourrait-il pas faire sien ce troublant sentiment relaté par un obscur anarchiste -lui aussi amateur de longues balades champêtres-, sans même l’avoir jamais lu ? : « Je hais infiniment parce que j’aime sans réserve »…
Dans la nuit de lundi à mardi 12 novembre 2019, les douze véhicules du concessionnaire Renault sont partis en fumée vers 1h moins dix de la nuit dans la petite ville de Barr. Régis Haegelé a été arrêté le lendemain par les gendarmes-enquêteurs de la cellule d’investigation VL-67. Il a été mis en examen le soir même par un juge d’instruction pour « destructions et dégradations par incendie » et « dégradations graves » concernant rien moins que… 900 véhicules cramés (des voitures et des dizaines de cars) lors de 120 départs de feu entre 2013 et 2019.
Les dégâts se montent à au moins 8,5 millions d’euros. Il a reconnu une partie des faits et est depuis incarcéré à la maison d’arrêt de Colmar. Si on se sait pas comment les gendarmes ont réussi à remonter sa trace à part les « similitudes dans son mode opératoire » -ils sont généralement très chiches en informations dans ce genre de cas-, son avocat a évoqué des « maltraitances familiales graves » subies par Régis Haegelé dans son enfance, lui donnant envie de se venger contre une partie de ce monde.
Pour notre part, qui ne sommes que de simples lecteurs de la presse régionale et aussi de grands enthousiastes de la détermination et de l’endurance, peu importe que ce soit cet amateur du 10 kilomètres ou un autre qui ait mené à bien ces dépollutions nocturnes. Car en matière de maltraitance familiale de masse, le fait d’envoyer des mômes subir les bagnes scolaires pour qu’ils y sacrifient toute leur jeunesse n’est pas l’une des moindres… et on ne peut que partager l’éclair de joie fugace qui a pu briller dans les yeux de certains en apprenant qu’il n’y aurait pas école ce matin parce que la voiture de papa ou le car de ramassage scolaire avait brûlé dans la nuit.
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