[Voici deux textes traduits de l’espagnol, issus de ‘Madrid Cuarentena City‘, publication pour la guerre sociale en période d’état d’urgence, n°2, mi-avril 2020]
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La solidarité comme arme
« Chaque citoyen doit prendre soin de lui pour prendre soin des autres. Nous pouvons tous faire quelque chose d’important pour les autres ». C’est avec ces mots que Pedro Sánchez s’est adressé à la population au début de la situation que nous vivons tous à présent, avant de continuer : . « c’est indispensable », « la discipline sociale », mais nous parviendrons à vaincre la pandémie avec « unité » et « responsabilité ».
Il anticipait pour nous les principes que nous allions devoir intérioriser à partir de ce moment-là et que politiciens et médias allaient entonner à l’unisson jusqu’à les transformer en dogmes incontestables que nous devrions tous prendre à notre compte. Avec la plupart de la population enfermée à la maison, prise par la panique provoquée par l’avalanche de chiffres et d’images de personnes infectées, la hausse des morts et l’incertitude d’un futur plus qu’incertain, certains concepts commencent à être redéfinis afin que nous nous conformions sans aucun questionnement aux ordres que l’exécutif impose sur le territoire qu’il contrôle. Tout cela est appuyé par un déploiement policiaro-militaire sans précédent dans la mémoire récente de l’État espagnol (au moment où cet article est écrit, plus de 1500 personnes ont été arrêtées et 180 000 autres sanctionnées pour avoir enfreint les mesures).
Nous sommes donc contraints d’être solidaires et cela signifie apparemment devoir porter une quantité de merde sur notre dos que nous n’aurions jamais été capables d’imaginer. Que nous assumions les licenciements comme quelque chose de nécessaire, que nous fassions un effort pour ne pas voir nos êtres chers, pendant que les murs de nos maisons, transformées en prisons télématiques, se referment sur nous et menacent notre santé mentale, que les personnels médicaux acceptent une baisse solidaire de 2 % de leur salaire. Que nous collaborions avec les mêmes forces répressives qui nous intimident pour que nous restions à domicile (parce qu’aujourd’hui rester à la maison devient un acte héroïque de la plus haute valeur morale au lieu d’être la condition indispensable pour que la domination à laquelle ils nous soumettent soit plus efficace que jamais). Que nous portions des accusations et collaborions avec la police pour signaler et dénoncer les personnes qui ne veulent pas s’isoler du monde, qui refusent de rester à la maison, ou simplement se voient obligées de sortir, en transformant nos balcons en un panoptique qui se méfient de toute activité dans la rue. Et la liste pourrait être infinie.
Cette solidarité qu’ils nous imposent nous conduit à un scénario répressif sans pareil. Mais la solidarité n’est pas cela. Ils ne peuvent nous obliger à être solidaires, la solidarité se donne entre égaux comme instrument pour résoudre les problèmes et les conflits surgissant précisément de la soumission à une société qui établit des rapports de pouvoir et d’autorité entre les personnes qui y vivent.
Mais une fois de plus, ce qu’ils nous vendent, ce n’est pas la solidarité. L’État n’encouragera jamais de véritable solidarité, parce que c’est une arme qui se retourne contre lui. C’est une arme lorsqu’elle renforce les réseaux d’appui mutuel qui naissent de manière libre et spontanée, en refusant la gestion paternaliste que l’État entend faire de nos vies. C’est une arme lorsque nous construisons des espaces squattés en récupérant des bâtiments abandonnés ou lorsque nous participons aux campagnes de grèves de loyers qui se diffusent ces jours-ci, désignant la propriété privée et la spéculation immobilière comme un des angles avec lesquels l’État nous fait chanter et nous jette dans la précarité. C’est une arme lorsqu’elle frappe avec des sabotages les institutions qui maintiennent le désastre capitaliste qui pèse sur nos vies, livrant aux flammes n’importe quel symbole du pouvoir, et mettant ainsi à nu qu’il existe aussi des brèches et des fragilités dans leur système.
En fin de compte, la solidarité est une arme lorsqu’elle se rebelle afin de changer l’état des choses et non pas de le perpétuer. La solidarité naît de l’appui mutuel, de la conflictualité et de l’attaque. Ni des grilles de nos balcons, ni depuis les échos des applaudissements. Ne les laissons pas travestir le sens de la solidarité et quand vient le moment de la montrer, pille, incendie, vole, attaque et protège tes proches !
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Tout va bien se passer
Tout va bien se passer.
« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages.
Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer :
Jusqu’ici tout va bien…
Jusqu’ici tout va bien…
Jusqu’ici tout va bien.
Mais l’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage.
Comme dans la métaphore du film français « La Haine », nous vivons dans monde voué au désastre. La destruction permanente des écosystèmes pour extraire des matières premières, la dégradation systématique de la croûte terrestre pour les monocultures et l’agro-industrie, l’expulsion ou l’anéantissement des espèces, la transformation des océans en décharge, les dégâts irréversibles à la couche d’ozone… ont connu une progression exponentielle ces dernières années. Ils nous ont mené vers une transformation plus qu’évidente, pour le pire de la vie sur Terre.
En même temps, on a généré des sociétés qui anéantissent ce qui est différent, ennemies du risque et de l’aventure. Elles perpétuent hiérarchies et autorités, esclaves d’un système économique qui place les flux de marchandises au-dessus de tout. Et qui ont le profit pour seule idéologie. Dans lesquelles le virtuel s’impose au réel. La simulation à l’expérience.
Ces dernières semaines, des campagnes ont été lancées en Italie ou en Espagne, où on demande aux enfants de dessiner des banderoles avec des arcs-en-ciel et le message “todo va a salir bien” ou “andrá tutto bene” [1] pour ensuite les accrocher aux balcons ou sur les édifices publics. Malheureusement, ce message naïf et innocent implique une complaisance avec tout ce qu’on vient de dire, c’est un maillon de la régression vers une réalité auto-destructrice pour les personnes et nuisibles pour notre entourage.
Et tout cela on devrait le faire avec un sentiment d’auto-culpabilité, en considérant les individus comme de coupables agents responsables de la transmission d’un virus, alors qu’il est évident que les maladies ne se transforment pas en pandémies par l’action de quelques personnes, elles ont besoin, et de fait elles les créent et les ont crées, d’une série de conditions infrastructurelles (comme la construction de grandes villes par exemple), environnementales, de déplacements, etc.
Nous recevons donc leurs mesures de façon de rester chez nous pour notre bien et celui des autres de manière paternaliste et patriarcale. Lorsqu’on nous interdit de sortir dans la rue, seul.e, ou avec les personnes avec lesquelles nous vivons, est-ce que cela répond à des critères médicaux ou d’ordre public ?
Mais en attendant, applaudissons sur les balcons et accrochons des banderoles… Mais peut-être que tout ne va pas bien aller. Il est possible qu’en faisant ce que nous faisons cela n’ira pas bien du tout. Les possibilité de récupération de la planète sont infinies mais il n’est pas certain que nous pourrons continuer d’exister en tant qu’espèce et renaître d’entre les cendres. Mais nous n’allons pas pour autant nous priver du plaisir de profiter de ce chemin, même si c’était le dernier. Nous allons y faire face, nous battre, expérimenter, imaginer… Nous allons identifier et frapper les responsables de cette réalité et nous éloigner de sa reproduction.
Un autre monde est possible, disaient les slogans gauchistes classiques. Une autre fin du monde est possible, voilà le mot d’ordre que nous n’avons pas d’autre choix que d’adopter, et nous le faisons avec passion. Beaucoup d’entre nous sans espoir, mais avec la larme à l’œil qui monte lorsque tu es si près que tu peux te pencher sur la ville.