Mexico, Mexique : « Nous nous comportons mal, très mal, et nous pouvons faire pire ! » – Au sujet des émeutes du 26 septembre 2019 à Mexico

[Le jeudi 26 septembre 2019 ont eu lieu à Mexico des manifestations de milliers de personnes en mémoire des “43 étudiant.e.s d’Ayotzinapa disparu.e.s” il y a cinq ans jour pour jour. Manif qui a très vite tourné à l’émeute dans tout le centre de Mexico, avec des attaques multiples et variées contre les bâtiments gouvernementaux, des restaurants, banques, magasins divers et tout ce qui représente le capital et la marchandise. Des stations de métro ont été saccagées, le Palais National, sur lequel a entre autres été tagué “43. Assassiné.e.s. C’était l’Etat.” a subi l’assaut de dizaines d’encapuchdxs, tandis que des journaflics des médias mexicains égarés dans les affrontements ont été attaqué.e.s à l’extincteur et à coup de pierres. A la suite de cette journée de révolte, le gouvernement de gôche du président Andrés Manuel López Obrador a qualifié les émeutier.e.s de “perturbateur.e.s” et de “conservateur.e.s”, en relayant des théories du complot dont les gauchistes sont particulièrement friands à chaque révolte qui éclate. “Quelques anarchistes informel.le.s en conflit permanent” ont tenu à mettre dès le lendemain des émeutes leurs propres mots sur cette journée de révolte et tout ce qui a été dit autour de celle-ci. Ci-dessous un texte qui nous a été transmis par mail et que nous avons traduit de l’espagnol.]

Nous nous comportons mal, très mal, et nous pouvons faire pire !

L’Etat mexicain, dans sa logique de domination, continue de nous accuser de “provocateur.e.s” et à imposer le pacifisme citoyen du “bon peuple”. Et maintentant, il cherche à aller plus loin…

Du haut de sa chaire matinale, AMLO [1] tente de nous rendre invisibles, de nous exterminer, de nous faire disparaître, et c’est pourquoi il déforme le sens de la lutte anarchique, de notre histoire et du sens même du mot ANARCHIE. C’est pour cette raison qu’il nous qualifie de “conservateur.e.s”, tout en donnant des “leçons” à ses animaux de compagnie heureux, avec l’assentiment des phoques applaudissant qui se font passer pour des journalistes tous les matins au Palais National.

Pour AMLO, comme pour tous les présidents précédents (et pour tous les chefs d’Etat dans l’histoire), le/la meilleur.e anarchiste est l’anarchiste mort.e. ou l’opportuniste qui renonce à ses idées et lui lèche les bottes, comme c’est la cas du stalinien converti Paco Ignacio Taibo.

C’est pourquoi AMLO ment et nous désigne comme “conservateur.e.s”. Tou.te.s ses ennemi.e.s sont “conservateur.e.s”, y compris les anarchistes.

Comme l’ont fait remarquer les compagnonnes des “Femmes Sorcières et Insurrectionnalistes” dans leur communiqué du 17 août 2019 pour l’insurrection des femmes anarchistes du vendredi 16 août contre les porcs de la municipalité de Mexico : “Nous affirmons ce que d’autres taisent : la présence dans le palais national d’un fasciste misogyne et sexiste, pro-vie, ultraconservateur et évangéliste auquel la gauche s’est alliée par son constant opportunisme pour “prendre le pouvoir” à tout prix.” Toutefois, tout.e adversaire du palais est accusé.e d’être conservateur.e, en changeant le sens des mots et en occultant le véritable conservatisme qui règne dans les hautes sphères du pouvoir.

De la même façon, chaque matin, il s’agit de changer l’histoire. Ainsi est usurpée la figure de Ricardo Flores Magón qui se voit présenté comme “l’idéologue” de la Quatrième Transformation [2], tout en assumant en parallèle l’héritage de Benito Juárez et de Francisco I. Madero [3].

Si nous ne connaissions pas les trucs du vieux PRI, aujourd’hui recyclé dans MORENA, nous penserions que c’est de l’ignorance ou qu’AMLO souffre de schizophrénie organique. Mais non, tout ce fourre-tout idéologique est intentionnel, ou plutôt parfaitement mal-intentionné.

Pour celles et ceux d’entre nous qui connaissent l’histoire de l’anarchisme dans la région mexicaine, il est clair que c’est durant la longue période du gouvernement de Juárez qu’il y a eu le plus d’anarchistes fusillé.e.s dans l’histoire du Mexique. Et l’histoire n’a pas été différente pendant le gouvernement de Francisco I. Madero, déportant, enfermant et assassinant les anarchistes qui ont toujours refusé de le reconnaître en tant que gouvernement. Ricardo Flores Magón lui-même a planifié avec d’autres compagnon.ne.s l’exécution de Madero.

Le sens de ce qu’est l’anarchie est aussi dénaturé. Une visite rapide sur Wikipedia nous indique que:

Le terme “anarchie” vient du grec “ἀναρχία” (“anarkhia”), formé du préfixe privatif a- an- (en grec av, c’est-à-dire “sans” ou “privé de”) juxtaposé au mot “archie” (en grec ἀρχή, c’est-à-dire “pouvoir” ou “commandement”). L’éthymologie du terme désigne donc, de manière générale, ce qui est dépourvu de principe directeur et d’autorité. Cela entraîne ou implique “l’absence de normes”, “l’absence de leadership”, “l’absence d’autorité” ou “l’absence de gouvernement”, et sert à désigner les situations dans lesquelles existe (ou est recherchée) l’absence d’Etat ou de pouvoir public. C’est la raison pour laquelle notre cri de guerre est Ni Dieu, ni Etat, ni Patron, exprimant notre opposition énergique à tout gouvernement, à toute autorité et à tout pouvoir, et faisant le sens de la guerre anarchique.

L’anarchie n’est et ne peut être ni de “gauche”, ni de “droite” tout simplement parce que, tout comme la droite, la prétendue gauche aspire à gouverner et à conserver l’Etat, tandis que nous luttons pour le détruire. Il est donc impossible de nous excommunier de “la gauche” car nous n’avons jamais partagé ses aspirations et encore moins ses fins.

Que des hauteurs du pouvoir on nous accuse maintenant d’être des “provocateur.e.s” et des “conservateur.e.s”, nous invite à réfléchir à ces termes. Et en effet on pourrait nous dire “provocateur.e.s” parce que nous chercons à provoquer le chaos et l’anarchie, parce que nous provoquons des espaces de libération totale, parce que nous provoquons la destruction totale de tout ce qui nous opprime.

On peut aussi nous appeler “conservateur.e.s”, car nous luttons pour conserver à tout prix notre autonomie, notre individualité et notre liberté face à tout gouvernement, face à toute autorité (terrestre ou divine), face à tout pouvoir. Ils peuvent nous dire “conservateur.e.s” car nous luttons pour conserver la planète face à la dévastation progressiste par l’Etat-Capital, car nous luttons pour conserver indéfectible notre essence acrate et pour empêcher le contrôle de nos corps et de nos vies.

Ce n’est pas la première fois (et ce ne sera pas la dernière) que nous nous affronterons au système de domination dans la région mexicaine, que ce soit par la confrontation ouverte dans les rues ou bien dans le silence et l’obscurité de la nuit).

Les nouvelles générations d’anarchistes mènent une guerre ininterrompue depuis les années 90 contre le système de domination et nous ne ferons pas exception à la règle avec l’absolutisme populiste de la “Quatrième Transformation”: notre guerre reste dirigée contre l’Etat-Capital, contre toute domination.

L’action conséquente des groupes d’affinité anarchique hier après-midi durant la pantomime politique de la “Commémoration des événements de Ayotzinapa” [4] n’est pas un événement isolé et ne répond ni à des intérêts occultes ni à des mains “conservatrices” tirant les fils à leur guise et nous manipulant comme des marionnettes, elle ne répond pas non plus aux stratégies de la présidence contre les secteurs d’affaires qui ne s’associent pas à leurs intérêts de développement: nous ne sommes pas les nouveaux faucons de l’Etat comme le claironnent les médias. Cette action s’inscrit pleinement dans notre agir anarchique.

Nous ne faisons ni ne recherchons aucune alliance avec des partis politiques et nous ne sommes pas non plus des mercenaires au service de qui que ce soit.

L’attaque d’hier après-midi contre les symboles du pouvoir, les édifices du gouvernement, les flics et la propriété privée fait partie de la longue liste d’attaques contre la domination dans l’itinéraire de la guerre anarchique. Nous avons brisé des milliers de vitres, attaqué des dizaines de patrouilles, réalisé des centaines d’engins explosifs, brûlé des centaines de distributeurs automatiques de billets, des supermarchés, des magasins et des centres commerciaux en réduisant la marchandise en cendres.

Dans ce sens, l’attaque incendiaire contre la librairie de Gandhi (qui a tant alarmé “les civilisé.e.s”, c’est-à-dire, les domestiqué.e.s) n’a rien de personnel et ne s’inspire pas d’un anti-intellectualisme fasciste ni de la vision obscurantiste contre “les lectures pêcheresses”. Ce n’est pas une bibliothèque qui a été attaquée, mais la marchandise et en ce sens peu importait si le magasin en question vendait des livres, des sous-vêtements, des écrans plats, des ordinateurs ou des matelas. Nous n’avons aucun doute sur le fait que les idées sont aussi des marchandises dans les vitrines de la consommation. A titre d’exemple: les tasses de café avec le “A” cerclé mises en vente dans les succursales de la chaîne de magasins Gandhi.

Aujourd’hui, plus que jamais:

Ni Dieu ni Etat ni Patron!

Pour la libération totale!

Détruisons tout ce qui nous domine!

Pour la tension anarchique insurrectionnelle!

Pour l’anarchie!

Feu à l’ensemble de l’existant!

Quelques anarchistes informel.le.s en conflit permanent

México, 27 septembre 2019


Notes de Traduction:

[1] Andrés Manuel López Obrador (AMLO), président de l’Etat mexicain depuis le 1er décembre 2018, Après avoir présidé le Parti de la révolution démocratique (PRD), il a fondé en 2012 le Mouvement de régénération nationale (MORENA).

[2] A l’occasion de la présidentielle de 2018, AMLO a présenté son programme « Ensemble, nous ferons l’Histoire », qu’il compte inscrire, comme son nom l’indique, dans l’histoire avec un grand H. Il prétend mettre en place la-dite “Quatrième Transformation” du Mexique, après l’Indépendance (1810-1821), la Reforma (1858-1861) et la Révolution (1910-1920), trois événements historiques qui ont en commun d’avoir vu le peuple se soulever avec les armes contre le gouvernement afin de changer le cours de l’Histoire. AMLO prétend que son élection changera l’histoire à travers le vote, le peuple se soulevant (mais sans les armes) contre la mauvaise gouvernance qui règne depuis des décennies. Plus exactement, le changement qu’il appelle de ses voeux est typique d’un parti de (extrême-)gauche, parlant d’un véritable État de droit et d’une « vraie » démocratie, de “libération du pouvoir politique de l’emprise du pouvoir économique”. Ce n’est pas sans rappeler le concept d’une certaine “révolution citoyenne” appelée par un certain parti de gauche en France.

[3] Anciens présidents du Mexique auxquels AMLO se réfère fréquemment et prend pour modèle afin de glorifier la nation mexicaine: Benito Juárez de 1867 à 1872 et Francisco I. Madero de 1911 à 1913.

[4] Connus aussi comme « les enlèvements d’Iguala ». Le 26 septembre 2014, 43 étudiant.e.s issu.e.s de l’Ecole Normale Rurale de Ayotzinapa sont porté.e.s disparu.e.s dans la ville d’Iguala, dans l’État de Guerrero, au Mexique. « Selon les rapports officiels, ils voyageaient à Iguala ce jour-là afin de manifester contre des pratiques du gouvernement mexicain. Pendant le voyage, la police locale les intercepte et une confrontation suit. Le bilan est de 27 blessés, 6 morts et 43 disparus ». (source: wikipedia)

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