Il était présent – par intermittence – depuis près de deux ans, apparaissant pour la première fois à l’été 2016.
Il s’appelle « Shane ».
C’est à la fois son nom d’infiltré et son vrai nom. « Shane Bond », c’est ce qu’il nous a dit, ce « nous » étant les différents groupes et milieux d’Hamilton dans lesquels il a tenté de s’infiltrer.
Shane était juste un type de plus lorsqu’il est arrivé. Pour être honnêtes, la plupart d’entre nous ne l’avait pas remarqué, du moins pas au début. Il n’y avait pas de questions intrusives ou tendancieuses. Il ne poussait pas à semer la discorde ni ne répandait des ragots. Il était calme, voire même ennuyeux.
Et en dépit du fait qu’il ait harcelé en permanence quelques meufs de notre milieu pour prendre une bière malgré le refus, en le voyant on ne s’imaginait pas qu’il soit flic, tout au plus misogyne, chose qui malheureusement est somme toute presque banale dans nos milieux.
A celles et ceux qui se sont investi-e-s ou ont prêté- attention, Shane s’est présenté comme peintre travaillant à vélo en temps partiel, avec un vélo « supercycle » merdique et un pantalon de peintre. Il avait un appartement au 20 Emerald Street North – un immeuble de logements pour personnes à faible revenu à Hamilton – meublé d’un canapé en cuir, de quelques photos et de quelques toiles. Shane avait une « petite amie » qui « travaillait dans une crèche privée » mais que personne n’a rencontré, et une amie à lui, une femme musclée venant « de Dundas » avec de longs cheveux châtains allant en-dessous de l’épaule, qui a participé à au moins un événement.
L’arrivée de Shane est intervenue après plusieurs années à s’organiser contre les projets de pipelines [1], ainsi qu’à intensifier la lutte contre la gentrification. C’est un fait qu’il a participé à des événements et des rencontres à l’espace « The Tower » [2], à de nombreuses réunions « d’Hamilton 350 » [3], à des événements contre les pipelines et à une multitude de manifs, notamment à un rassemblement antiraciste et à une manif de solidarité avec les personnes incarcérées à la prison de Barton [4].
Shane a surtout (mais pas complètement) échoué dans son taf.
Pendant tout ce temps passé ici il a essayé de créer des liens mais ça n’a pas marché. Il a fallu du temps pour entrer en contact avec les personnes qui interagissaient avec Shane, vérifier leurs histoires et écrire ce texte. Mais en y repensant, nous savons que Shane n’a pas grand chose de plus à offrir à ses supérieurs que n’importe quel observateur lambda. Il n’a pas réussi à s’infiltrer. La seule exception à ça était que, depuis près de deux ans, il a toujours été au bon endroit au bon moment. On a montré à Shane un tract d’appel à une une manifestation contre la gentrification de Locke street [4b] à laquelle il a assisté et il semble témoigner contre des personnes accusées d’y avoir pris part.
En fin de compte, Shane était le meilleur pour éviter les objectifs – ou du moins les nôtres. Nous avons eu du mal à trouver une photo de lui. […] [5].
Dans ses mots : le vécu de Shane.
Shane a dit aux gens qu’il était de Saskatoon et de Colombie-Britannique. IL semblait en savoir beaucoup sur ces deux endroits, y compris en donnant des détails sur le climat et la géographie. Il a affirmé qu’il était peintre à temps partiel et que parfois il venait aux événements « juste après le travail », habillé en pantalon de peintre. Son appartement était pour la plupart meublé, avait de l’art sur ses murs « peint par sa mère », et ce que nous avons compris comme étant des photographies personnelles. Il a dit qu’il appréciait le thé en feuille mais il avait toujours sur lui du thé à infusion merdique.
A un moment donné, pendant son opération d’infiltration, Shane est parti vivre environ 6 mois quelque part dans Hamilton. Qu’il soit, comme il nous l’a expliqué, allé du côté de chez sa mère en Colombie-Britannique, qui vient de mourir ou pour s’infiltrer dans un autre groupe, nous ne le savons pas, mais nous encourageons vivement les personnes qui s’organisent contre les pipelines et la gentrification à partager ces photos et leurs expériences qu’ils ont eu avec lui.
Ce que nous savons, c’est que Shane n’est pas le seul policier infiltré en activité sur Turtle Island; si vous êtes en train de vous organisez contre les pipelines ou autres, attendez-vous aussi à ce type d’infiltration et de surveillance. Nous savons qu’il peut être tentant de rejeter ou de rationaliser le contraire. Mais cela ne se produit pas uniquement aux États-Unis ou à l’étranger. Ce n’est pas juste en Colombie-Britannique. Et il ne s’agit pas uniquement de se préparer aux sommets. L ‘État met les moyens en œuvre contre les personnes qui s’organisent efficacement contre l’industrie et l’État.
Drapeaux
L’analyse politique de Shane faisait défaut et n’a jamais vraiment évolué malgré sa participation à des événements et des ateliers. Il essayait souvent de relayer des idées ou impressions en utilisant des termes courants ou ayant recours à l’argot mais hors contexte. Le résultat était des interactions abruptes et troublantes, comme une exclamation du genre « Je suis tellement content d’avoir trouvé quelqu’un qui déteste elle aussi les porcs ! ».
Il a également été vu plus d’une fois en train de tourner sur une zone et autour d’un groupe de gens et d’écouter leurs conversations., et lorsqu’il est rentré de son « voyage en Colombie-Britannique », Shane parvenait à reconnaître et à se souvenir parfaitement du nom des personnes, peu importe le fait qu’il ait déjà beaucoup discuté avec elle ou non.
Afternote
Récemment, le « Mining Injustice Solidarity Network (MISN) » [6] a publié une excellente réflexion sur ses expériences avec un flic infiltré à Toronto. Elle s’attarde un peu plus longtemps sur la manière dont certains indicateurs peuvent ne pas suffire pour justifier l’expulsion d’une communauté, mais certainement une bonne raison pour mieux connaître quelqu’un. Ce qui est important, c’est aussi que nous parlons des moyens d’identifier et de confirmer le flic infiltré. Cela vaut la peine de le lire.
[Traduit de North-shore.info, 6th September 2018]
NdT :
[1] Pipeline signifie à la fois gazoduc et oléoduc. Il peut s’agir soit d’extraction de gaz, soit d’extraction de pétrole.
[2] Espace anarchiste qui a récemment été perquisitionné par les flics et attaqué par les fascistes à la suite d’une manif saccageuse contre l’embourgeoisement. Voir une liste d’articles ici.
[3] Campagne écologiste légaliste qui lutte contre les projets d’oléoducs et de gazoducs. Elle a pour slogan « Comittee for real climate change action ».
[4] Prison dans laquelle était incarcéré-e en préventive le/la compagnon-ne Cedar, accusé-e d’avoir pris part aux destructions lors de la manif saccageuse sur Locke Street.
b. Il n’est pas dit clairement ici s’il s’agit de la manif du 3 mars 2018 sur Locke street. Si c’est le cas, la présence de ce flic a donc apporté un témoignage contre Cedar qui a été incarcéré-e en préventive pour cette affaire. Fin mai, d’autres personnes ont aussi été arrêtées pour cette même affaire à Hamilton et à Montréal.
[5] Le texte raconte néanmoins qu’ils ont trouvé la photo de l’infiltré en cherchant sur internet.
[6] « Réseau de solidarité contre l’injustice minière ». Groupe d’activistes basé à Toronto qui cherche à attirer l’attention sur les pratiques et négligences des compagnies minières canadiennes (qui à elles-seules concentrent 75% des activités minières dans le monde entier).