Sur l’attaque sauvage et la moralisation de la violence

Les anarchistes ont toujours été parmi les ennemies les plus radicaux et les plus intransigeantes du système. Nous avons, de ce fait, toujours été parmi les plus disposés à user de tactiques offensives telles que le recours à la violence. Cependant, le débat concernant la violence dans les milieux anarchistes est un débat complexe et clivant, et est souvent enlisé dans la morale civilisée (et particulièrement à gauche).

Dès le début du mouvement au 19ème siècle, la grande majorité des anarchistes se sont accordés sur la nécessité de la violence en tant qu’outil de lutte contre le système. En pratique, toutefois, le réel recours à la violence des anarchistes a suscité de profonds désaccords entre les anarchistes.

De tels désaccords sont manifestes dans les débats autour de l’idée de « propagande par le fait » qui généra tant de controverses à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Alors que les révoltes inspirantes d’anarchistes comme Ravachol, la bande à Bonnot et Severino Di Giovanni étaient reconnues et saluées par de nombreux anarchistes, la majorité des anarchistes de l’époque cherchait à se dissocier de tels actes. Beaucoup sont allés jusqu’à prétendre que les auteurs n’étaient rien de plus que des terroristes antisociaux qui n’avaient rien à voir avec le « Mouvement ».

En 1901, Leon Czolgosz, un immigré anarchiste, tira au niveau de l’abdomen sur Henry McKinley, le président états-unien de l’époque. McKinley mourra quelques jours plus tard. Malgré le fait que la seule personne à avoir été visée par cette action était un tyran qui présidait un empire, l’assassinat de McKinley suscita une grande indignation parmi les anarchistes de l’époque, qui condamnèrent l’action non seulement pour des raisons tactiques mais également pour des raisons morales. Sauf rares exceptions, les seules anarchistes qui ont, à l’époque, soutenu Czolgosz et ses actes, furent Emma Goldman (qui fut emprisonnée par l’état en représailles à la fusillade) et quelques anarchistes italiens.

Pour être honnête, cela a du sens de critiquer la fusillade pour les conséquences qu’elle a entraînées. L’état l’utilisa comme prétexte pour alimenter un sentiment anti-anarchiste et anti-immigré, menant à une vague de répression. Ceci dit, les critiques allaient bien au-delà, beaucoup d’anarchistes tentèrent de nier complètement tout lien entre l’acte d’un « fou isolé » et l’anarchisme. De tels anarchistes semblent croire que tout anarchiste qui est prêt à agir pour lui-même sans tenir compte de ce que les curés du « Mouvement » ou les masses pensent, n’est pas un vrai anarchiste et devrait être écarté du « Mouvement ». Pourtant, comment peut-on prétendre défendre l’anarchie tout en essayant de contrôler les actions de celles et eux qui choisissent d’agir sans demander la permission? La contradiction est affligeante.

Un autre débat qui souligne la moralité civilisée prédominante au sein du mouvement est le débat actuel sur le recours à la tactique offensive et à la violence.

L’anarchisme est souvent associé à la violence, ce qui n’est pas surprenant lorsque l’on regarde son histoire (et le fait que la plupart des anarchistes préconisent une révolution violente). La plupart de celles et ceux qui se considèrent anarchistes (même celles et ceux qui prennent part aux actions offensives) se donneront pourtant beaucoup de peine à nier que le « Mouvement » est violent. Ils diront que la destruction de propriété n’est pas violente, que toute violence commise par les « vrais anarchistes » est une violence défensive ou que l’état est le seul à être véritablement violent.

Il y a aussi celles et ceux qui affirment que l’accueil positif des tactiques ofensives chez les anarchistes n’est que le reflet d’une dynamique « machiste ». Si de telles dynamiques existent et influencent des projets anarchistes, devrions-nous accepter une telle perception genrée et essentialiste de la violence et reléguer la violence au domaine de la « masculinité » ? Qu’en est-il de la violence des « femmes » et des personnes queer radicales qui ont choisi de contre-attaquer ? Sont-iels « machistes » aussi ?

A l’exception près de l’association de la violence à des comportements machistes, tous ces arguments participent à la moralisation de la violence, considérée comme un « mal inutile ». J’ai même vu des anarchistes dire que l’on ne devrait jamais s’amuser (!!!) en prenant part à des actions offensives. Celles et ceux qui choisissent de se battre doivent-iels renier leurs sentiments et devenir de simples machines de combat?

Bien que la fétichisation de la violence puisse être problématique (surtout lorsqu’elle provient de celles et ceux qui ne l’ont jamais vécue personnellement), il en va de même pour sa diabolisation. Dans une société fondée sur la monopolisation de la violence par l’État et sur la pacification et le désarmement de ses subordonnés, nous ne devrions pas hésiter à admettre d’être violentes et à acclamer les actes violents perpétrés contre celles et ceux qui rendent nos vies misérables et font la guerre à tout ce qui est sauvage.

Alors, je ne dis pas que nous devrions soutenir de manière acritique tous les actes de violence commis par des anarchistes (rien ne devrait être soutenu sans discernement). Mais nous ne devrions pas non plus interpréter ces actions à travers un prisme moraliste qui tente de tenir à l’écart les anarchistes « moraux » des « criminelles antisociaux », qui n’accepte la violence que lorsqu’elle sert les objectifs du « Mouvement » (quel mouvement ?). Au lieu de cela, nous devrions comprendre que la violence est inhérente à la lutte anarchiste, tout comme elle l’est à la vie elle-même. Il y a aura toujours des éléments indisciplinés qui sentiront le besoin de contre-attaquer la société qu’iels soient ou non soutenues par « les masses », ou que les conditions soient ou non favorables à de telles actions. Ce n’est qu’en acceptant ces éléments et en rejetant la moralisation de la violence que nous pourrons devenir une force qui sèmera la peur dans le cœur de celles et ceux qui maintiennent l’ordre civilisé.

Guará

[Traduit de l’anglais de fanzine « INSURGENCY: An Anarchist Journal of Total Destruction » par Ad Nihilo]

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