Besançon, France : Le bordel continue, répandons-le !

A Besançon le bordel continue, répandons-le !

Samedi 22 décembre, l’air du centre-ville bisontin était, pour un troisième samedi d’affilée, irrespirable pour les consommateurs, mais un peu plus respirable pour les individus qui veulent en découdre avec l’État et ses gardiens.

Comme le samedi précédent (15/12), la manif, partie de la place de la Révolution et à laquelle ont participé un millier de personnes, a traversé le centre-ville dans un calme relatif, aux bruits des pétards et aux cris de « Macron démission », « Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, de cette société là, on n’en veut pas ! » et surtout le fameux « Besak debout, soulève-toi ! », qui est de plus en plus repris depuis la manif du 8 décembre et les premiers affrontements devant la préfecture. Certains commerçants de la rue Bersot et de la Grande Rue ferment boutique en vitesse à l’arrivée de la manif. Le cortège arrive ensuite place Granvelle et décide de contourner le dispositif policier, en se dirigeant vers la rue Chifflet. Place Victor Hugo, un type s’adresse à la foule en pointant deux directions : « affrontements » côté préfecture, ou « pas d’affrontements » avec retour à Rivotte, vers le parking où se retrouvent des gilets jaunes avant les manifs et blocages. Résultat, la grande majorité des personnes choisit de ne pas rentrer chez soi et de continuer cette journée de bordel annoncé qui ne fait que commencer.

Arrivés au carrefour de la rue Chifflet et de la rue Charles Nodier (où se trouve la préf’), la foule désormais rodée s’équipe sans attendre (masque à gaz et de plongée, casques, circulation de sérum physiologique), et dès les premières frictions avec les gendarmes et jets de lacrymo, une bouteille d’acide/alu est lancée en direction des gendarmes mobiles postés pour défendre les bureaux du Préfet [1].

Plusieurs groupes se dispersent alors pour se regrouper à Chamars (grosse place bordée d’un parc), à mi-chemin entre la mairie et la préfecture. C’est là que quelques personnes ramènent des jerricans remplis… de flotte, pour rendre les grenades lacrymo plus inoffensives. Le gros des affrontements se déroulera donc à partir de là, bloquant la circulation du tramway, contrairement aux samedis précédents où la foule stagnait obstinément devant la préfecture. Pétards, mortiers, canettes et pierres répondront aux tirs des forces anti-émeute (il y en aura pour les GM, mais aussi pour les flics de la CSI postés à proximité du commissariat, qui venaient juste de balancer une grenade GLI-F4). Certain.es manifestant.e.s attirent l’attention sur le fait que des groupes de BACqueux cagoulés sont planqués dans l’obscurité du parc de Chamars. Puis vers 18h30, le cortège décide de prendre la direction du Pont Canot et de la City, poumon de l’administration économique et étatique locale. Au moment de bouger, des feux de signalisation sont arrachés de leur socle et utilisés pour bloquer la route, des abribus sont défoncés. Ça stagne et hésite pourtant à l’entrée du pont, en l’absence de flics contre lesquels s’affronter. Une ambiance étrange s’installe, lorsque tout d’un coup un cocktail Molotov atterrit à quelques mètres de la rangée de flics qui finit par se déployer pour bloquer le passage sur le pont. Re-riposte immédiate à coups de lacrymos et de flash-ball. Cette fois, une poubelle s’enflamme, un panneau de pub vole en éclats, puis deux flics à motos isolés qui règlent la circulation sont pris en chasse par des dizaines de personnes. Le cortège d’une centaine de personnes déterminées abandonne l’idée de franchir le pont et rebrousse chemin en direction de la rue de Dole. Sur la bien-nommée rue Louise Michel, un autre panneau publicitaire est brisé puis tranquillement incendié. Il n’en restera que le cadre. Sur la rue de Dole, une grosse barricade est érigée, puis enflammée à son tour. Les barricadier.e.s veulent la tenir, et attendent impatiemment l’arrivée des flics… qui ne viendront pas face à eux, mais se déploieront à l’inverse dans leur dos de l’autre côté de la rue (en direction de la prison). L’étau se resserre soudain, et c’est à ce moment là que la dispersion a lieu. Six personnes, la plupart mineures, sont malheureusement interpellées dans les environs.

Parmi les enseignements que l’on peut tirer de cette journée, il y a cette rage grandissante envers les forces de l’ordre et aussi leurs porte-parole de la presse (le samedi précédent, une bille de plomb partie d’un lance-pierre avait frappé en pleine face le journaflic de l’Est Républicain Willi Graf, bien planqué comme à son habitude derrière les lignes de gendarmes). Une équipe de street medics amateurs s’est aussi auto-organisée depuis le premier samedi d’affrontement (8/12), bien qu’elle ait malheureusement disparu à partir des longues échauffourées à Chamars. De la même façon, des caisses de solidarité face à la répression ont vu le jour du côté des gilets jaunes (notamment pour payer amendes et avocats).

Dans le mille !

Depuis trois samedis à Besançon s’est développé un objectif commun entre les différentes personnes qui s’y rassemblent (venues de Besak, des villages alentours et des « fameux quartiers sensibles ») : chercher l’affrontement direct. Un affrontement qui est certes nécessaire, mais qui a aussi ses limites. Créer des points de fixation en érigeant des barricades est toujours intéressant, ne serait-ce que pour couper/perturber les flux, mais le fait de stagner trop longtemps à ces endroits a permis aux flics d’avoir le temps de se réorganiser et de nous prendre au dépourvu. Et c’est précisément dans ces moments-là qu’ils parviennent à arrêter du monde (17 personnes le 22/12, 10 personnes le 15/12 dont une incarcérée), ce qui a conduit à chaque fois à l’arrêt des affrontements et à la débandade. En ce qui concerne les fachos qui auraient partout plein pied dans le mouvement des « Gilets Jaunes », cette journée du 22 décembre à Besançon nous a montré une fois de plus que la peste brune n’y était pas forcément la bienvenue : outre les pancartes et slogans de gôche traditionnels de manif (du genre « c’est pas les immigrés qu’il faut virer, c’est les financiers bla bla» ou « qui sème la misère récolte la colère »), un groupe de néo-nazis s’est directement fait dégager par un groupe lambda de « Gilets Jaunes » lorsqu’ils ont eu une crampe au bras droit.

Certains manifestants et « médias alternatifs » grandiloquents ont qualifié cette journée ponctuée de longs affrontements (avec présence de molotov, bouteille d’acide, mortiers et frondes) accompagnés de destructions urbaines (de feux rouges arrachés jusqu’au mobilier urbain) de… « quasi-insurrection » (voire carrément de « scènes d’insurrection » pour les journaflics de l’Est Répugnant) ! C’est sûr que pour Besançon, cela fait depuis près de 20 ans qu’on a pas assisté à une telle conflictualité en plein centre, le bouche à oreille local ayant fait son effet d’un samedi sur l’autre pour en faire un rendez-vous principalement orienté contre la flicaille (et de fait, beaucoup se pointent directement équipés et sans uniforme jaune, mais peu s’en prennent par exemple aux commerces). Le fait que les derniers ronds-points de cabanes tenus obstinément depuis le début du mouvement (Pontarlier, l’Isle-sur-le-Doubs et Granvillars) aient été expulsés depuis deux semaines, a peut être aussi alimenté ce rendez-vous émeutier du samedi, et c’est en tout cas la première fois en trois semaines que les principaux affrontements ont réussi à décoller de devant la préfecture pour gagner en mobilité. Remarquons en passant que dès le 15 décembre, un petit groupe d’une vingtaine de manifestants avait déjà expérimenté cette dérive urbaine en s’éloignant des nuées de lacrymos pour se balader un peu plus loin et défoncer panneau de pub ou caméra de vidéosurveillance place Marulaz. Comme quoi, pas besoin d’être nombreux ou de faire masse pour laisser libre cours à ses envies destructrices et cibler ce que chacun trouve adéquat.

Dans cette ville qui s’enorgueillit de posséder une place de la Révolution en centre-ville ou une avenue Louise Michel un peu plus loin, si les petites barricades de mobilier urbain et de palettes subtilisées qui commencent à émerger ferment la rue, elles pourraient tout aussi bien ouvrir vers d’autres possibilités : celle de commencer à détruire ce qui nous détruit. Au 29, donc !

Un parmi d’autres


Note:

[1] Ce jeune maçon de 19 ans a pris en comparution immédiate le surlendemain 6 mois de prison ferme sans mandat de dépôt. Citation du juge déchaîné à l’audience : «  On ne va pas manifester comme on va au carnaval. Ce n’est pas un spectacle ! Si vous n’avez pas assez de personnalité pour résister à l’effet de meute, vous restez à l’écart ». De plus, suite à la manif du 15 décembre à Besançon, une manifestante accusée d’outrage et rébellion est incarcérée en préventive (pour violation de contrôle judiciaire après une perturbation individuelle du conseil municipal pour protester contre l’arrêté municipal anti-mendicité). Elle a été transférée à la Maison d’Arrêt de Dijon à l’issue de sa garde-à-vue de 48h et de sa comparution devant le tribunal lundi. Ce jeudi 27 décembre, les flics ont débarqué chez six personnes au petit matin (en fait d’après les journaux, les flics auraient placé en GAV deux personnes en début de matinée (dont une grande gueule du syndicat FO) afin de les auditionner « librement ». Une fois au poulailler, ils ont immédiatement été placés en GAV pour « refus d’obtempérer à un ordre de dispersion » le 22 décembre et sont ressortis libres vers 18h, NdSAD).

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